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Prostitution : la décision d’un "Sénat de machos"

Le Sénat a retiré, lundi, la pénalisation des clients et rétabli le délit de racolage de la proposition de loi visant à lutter contre le système prostitutionnel. Des choix que certains jugent "réactionnaires".

"Pitoyable", "ridicule", "hypocrite". Grégoire Théry, le secrétaire général de l’association anti-prostitution Mouvement du Nid n’a pas de mot assez fort pour décrire la séance du Sénat à laquelle il a assisté, lundi 30 mars. "On a entendu de beaux discours. Tout le monde est d’accord pour dire que la situation actuelle est intenable mais au final on garde un statu quo", s'indigne-t-il auprès de France 24.

Dans la nuit de lundi à mardi, le Sénat français s’est exprimé sur une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la prostitution. À 165 voix contre 44, les sénateurs ont adopté un texte amputé de ses deux principaux volets : celui sur la pénalisation des clients, et celui sur l’abrogation du délit de racolage, en vigueur en France depuis 2003.

"Ce qui s'est passé cette nuit est absolument incroyable et méprisant à l'égard des femmes", a déclaré Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales, sur France 2. "Je trouve invraisemblable et régressif" d'avoir "renoncé à la pénalisation des clients", a-t-elle affirmé, ajoutant que l'on avait fait "des prostituées non pas des victimes mais des coupables" en rétablissant le délit de racolage.

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D’après Grégoire Théry, cette opposition à la pénalisation des clients n’est ni plus ni moins que le symptôme d’une attitude "réac". "Au Sénat il y a 76 % d’hommes et 24 % de femmes", relève le secrétaire général du Mouvement du Nid. "La seule explication que je trouve à cette opposition, c’est que c’est un Sénat de machos", assène-t-il, reprenant l’adage selon lequel la chambre haute pêcherait par conservatisme.

"Les hommes ne se déplacent même pas"

Grégoire Théry regrette en outre un désintérêt affiché par certains sénateurs. "Il y avait dans la salle une très large majorité de femmes, alors qu’au Sénat elles ne représentent même pas le quart des sénateurs. Les hommes ne se déplacent même pas." Et le militant d'ajouter : "Dès le 8 juillet 2014 en commission spéciale, 75 % des sénateurs ayant voté pour la pénalisation des clients étaient des femmes alors que 75 % des sénateurs ayant voté contre étaient des hommes".

Pour Maud Olivier, députée socialiste rapporteuse de la proposition de loi, il s’agit également d’"un retour en arrière inadmissible". "Ces gens ont voté sans réellement s’intéresser aux violences que vivent les prostituées. Ils ont une aversion à l’idée que le client puisse être tenu pour responsable de ses actes", a-t-elle déclaré, hors d’elle, à France 24.

Ces "gens", ce sont en large majorité les sénateurs UMP. Quelque 189 sénateurs de droite se sont prononcés contre l'instauration d'une contravention de 1 500 euros pour les clients des prostituées, alors que 107 sénateurs, essentiellement de gauche, ont voté pour. "La pénalisation des clients comportait plus de risques que de bénéfices. Il était dès lors logique de rétablir le délit de racolage", avait auparavant indiqué le président de la commission spéciale du Sénat, Jean-Pierre Vial (UMP).

Le délit de racolage a donc été rétabli par 162 voix (UMP et UDI-UC) contre 161 (12 centristes, et les membres des groupes socialiste, CRC (Communiste, républicain et citoyen), RDSE (à majorité PRG) et écologiste).

Pour l’UMP, l’argument principal est que ce délit offre une ressource non négligeable aux services de police pour lutter contre les réseaux. "Sans l'établissement de ce délit, nous nous trouverions en état d'apesanteur", a estimé Jean-Pierre Vial. "Pour aider ces femmes, il faut d'abord les identifier", a surenchéri Joëlle Garriaud-Maylam (UMP).

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Lors des débats de lundi, pourtant, la sénatrice Laurence Cohen (Parti communiste) a rappelé que depuis 10 ans, l’utilisation du délit de racolage n’a cessé de baisser alors que les condamnations pour proxénétisme ont, elle, été stables ou en augmentation.

"Ni pénalisation des clients, ni délit de racolage"

Le rétablissement de ce délit jugé contreproductif représente, de fait, une déception, comme l’indique Morgane Merteuil, porte-parole du Strass, le syndicat du travail sexuel, interrogée par France 24. "Arrêter quelqu’un, ça ne le protège pas", relève-t-elle.

Le vote contre la pénalisation des clients n'est en revanche pas pour déplaire aux associations de travailleurs du sexe, ou encore à certains ONG ayant milité contre cette proposition, telles que Médecins du Monde et Act-Up. "On est un peu soulagés, même si c’est difficile de parler de soulagement," ajoute Morgane Merteuil. "Nous, on sera satisfaits quand il n’y aura ni pénalisation du client ni délit de racolage. Car les conséquences de ces deux mesures sont hélas toujours les mêmes." Les détracteurs de la pénalisation craignent davantage de clandestinité et de précarité pour les prostituées, à la merci des rares clients.

Ce répit devrait toutefois être de courte durée : Marisol Touraine, ministre en charge des Droits des Femmes, a déclaré vouloir "clairement" réintroduire la pénalisation des clients dans la proposition de loi, qui doit retourner à l’Assemblée nationale à une date inconnue. En cas de désaccord entre les deux chambres, ce sont les députés qui auront le dernier mot.