
Prix spécial du jury au festival de Sundance 2014, "Dear White People" de Justin Simien épingle la persévérance des clichés raciaux dans les universités américaines. Une satire espiègle qui démonte le fantasme d'une Amérique "post-raciale".
Chaque semaine, France 24 se penche sur deux films qui sortent dans les salles françaises. À l'affiche : "Dear White People", une pétulante satire raciale sur l'Amérique d'Obama signée Justin Simien ; et le charmant marivaudage français "À trois on y va" de Jérôme Bonnell.
Vous le saviez, vous, que "Gremlins" était un film raciste ? C'est en tous cas la théorie que défend Samantha auprès de l'un de ses professeurs de la très huppée université américaine de Winchester. C'est pourtant clair, les hideuses petites teignes créées par Joe Dante ne savent pas se tenir, parlent fort dans les cinémas, sont accros aux poulets frits et ne craignent rien plus que l'eau. Bref, les célèbres bébêtes cristallisent à elles seules les clichés que les Blancs peuvent véhiculer sur les Afro-Américains.
Samantha White (Tessa Thompson) a fait du racisme ordinaire son cheval de bataille. Au sein de la radio du campus, la jeune étudiante tient "Dear White People" ("Chers Blancs"), une émission dans laquelle elle se fait fort d'épingler les travers de ses camarades WASP (c'est-à-dire Anglo-Saxons, blancs, protestants). Extraits pas piqués des hannetons : "Chers Blancs, sortir avec un Noir pour saouler ses parents est une forme de racisme", "Chers Blancs, arrêtez de nous toucher les cheveux, vous vous croyez au zoo ?". Le ton est caustique, irrévérencieux, provocateur, mais en fustigeant ainsi les Blancs, Samantha ne verserait-elle pas elle-même dans le discours raciste, interroge le doyen de l’université.
"100 %" blacks ou "nez refaits" ?
C'est là toute la saveur du premier film de Justin Simien : il n'épargne personne. À la manière d'un Spike Lee version 1990, le jeune cinéaste de 31 ans se délecte à démonter le fantasme d'une Amérique trop hâtivement qualifiée de "post-raciale" lors de l'accession de Barack Obama à la Maison Blanche. De fait, ce que pointe "Dear White People" avec force tchatche et espièglerie, c’est la persévérance des clivages communautaires à l'endroit même (l'institution universitaire) où ils devraient être dépassés.
Dans le viseur du réalisateur, on trouve tout d'abord la jeunesse dorée issue de la bourgeoisie blanche bas-du-front qui juge bon de se grimer en Noir à l'occasion d'une soirée "afro-américaine". Mais aussi le militantisme par trop étroit d'étudiants noirs se qualifiant comme des "100 %" Noir, en opposition aux "nez refaits" qui, par souci d’intégration, font tout pour gommer les attributs physiques de leurs origines (lissage des cheveux, blanchiment de la peau, etc.).
Malgré une mise en scène biberonnée à l'indigeste esthétique des sketches Internet et un torrent de références à la culture américaine, la satire raciale de Justin Simien réussit à faire mouche auprès d'un public non étatsunien. On saura gré aux distributeurs français de cette pépite du cinéma indépendant américain (Prix spécial du jury à Sundance 2014) d'avoir su y déceler l'écho qu'il pourra susciter dans l'Hexagone. Dans une France où la représentation des minorités demeure l'objet de crispations et où la pataude comédie "Qu'est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?"” se voit auréolée de prétendues vertus cathartiques, la sortie de "Dear White People" fait office de salvatrice bouffée d'oxygène.
Bande annonce de "Dear White People"
- "Dear White People" de Justin Simien, avec Tessa Thompson, Tyler James Williams, Brandon P. Bell, Kyle Gallner, Teyonah Parris… (1h48).