envoyée spéciale à Tunis – La réouverture au public du musée du Bardo, prévue ce mardi à Tunis, a été reportée pour des raisons de sécurité. Une décision prise à contre-cœur par les autorités tunisiennes, qui souhaitent adresser un message rassurant aux touristes.
Le public est resté à la porte. "L'événement de réouverture" du musée du Bardo, à Tunis, organisé moins d'une semaine après l'attentat sanglant qui a fait 22 morts, a finalement été réservé aux autorités politiques et diplomatiques, ainsi qu'aux journalistes invités. Sur ordre du ministère de l'Intérieur tunisien, l'ouverture au public a, elle, été reportée sine die, pour raisons de sécurité.
Rouvrir les portes du musée du Bardo, qui a accueilli jusqu'à 660 000 visiteurs par an, était pourtant un acte de résistance pour ce pays meutri. "C'est un défi mais c'est aussi un message (...). Ce qui s'est passé nous touche tous, mais nous voulons dire qu'ils (les auteurs de l'attentat) n'ont pas atteint leur objectif", avait avancé dimanche Moncef Ben Moussa, le conservateur du musée. C'était aussi un message fort à l'intention des touristes, que les Tunisiens rappellent de leurs voeux. Mais ces derniers pourraient être encore un peu plus refroidis par ce nouveau signe d'instabilité sécuritaire.
L'attaque du 18 mars risque d'être dommageable pour l'ensemble de l'industrie touristique, déjà fortement affectée. La révolution de 2011 avait déjà saigné à blanc ce secteur-clé de l'économie tunisienne. La fréquentation touristique s'était effondrée de 30 % en 2011, pour tomber à 4,8 millions de visiteurs. En 2014, après trois années de marasme, les recettes du tourisme commençaient à opérer une légère croissance, même si le nombre de touristes restait de 12 % inférieur à celui de 2010.
La carte de l'optimisme
Le gouvernement tunisien tente de jouer la carte de l’optimisme. Interviewée par France 24 le 21 mars, la ministre du Tourisme Selma Elloumi Rekik affirmait qu’"aucune annulation n’a été enregistrée par les services du ministère, à l’exception d’un tour opérateur polonais". Elle a annoncé dans un deuxième temps, par le biais d'un communiqué publié le 23 mars, que plus de 3 000 annulations à destination de la Tunisie ont été enregistrées sur les marchés européens.
La priorité des autorités tunisiennes a été de renforcer la sécurité autour des zones touristiques et sensibles. Des premières mesures rassurantes pour Hosni Djemali, le PDG du tour-opérateur franco-tunisien Sangho : "On est en train de remonter la pente. On va transformer le mal en bien", espère-t-il, ajoutant avoir reçu le soutien de ses clients français.
Sur les réseaux sociaux, une opération de soutien à la Tunisie a émergé après l’attaque. Le 18 mars, une page intitulée "I will come to Tunisia this summer" (Je viendrai en Tunisie cet été) s’est créée sur Facebook avec pour recommandation : "Soutenez la Tunisie en venant passer vos prochaines vacances dans le pays de l’amitié". Cinq jours après, elle a récolté près de 60 000 soutiens.
La médina désertée
Malgré cela, les ruelles de la Médina de Tunis étaient calmes le week-end suivant l’attentat. Les vendeurs de foutas, dabourkas et autres pièces d’artisanat passent plus de temps sur leur portable qu’à alpaguer le client. "C’est comme ça depuis l’attaque", témoigne Ali, 40 ans, vendeur de maroquinerie. "Mercredi matin, on faisait les meilleures affaires depuis longtemps. Le beau temps était enfin revenu et avec l’arrivée des bateaux Costa, le souk était rempli", raconte-t-il. "Mais à partir de 13 heures, ça s’est vidé. Les gens recevaient des messages leur demandant de regagner leurs bateaux", poursuit-il.
Les rares touristes croisés en profitent. "Notre pouvoir de négociation a sérieusement augmenté ces derniers jours !", s’amuse Émilie, les bras chargés de souvenirs. Cette Parisienne de 28 ans a traversé la Tunisie avec son compagnon Thomas pendant deux semaines de vacances. S’ils n’ont pas interrompu leur séjour, elle admet avoir hésité fortement à revenir. "Moi, je reviendrai sans souci, dit Thomas. Je vis à Oberkampf [dans le 11ème arrondissement de Paris, NDLR], juste à côté des locaux de 'Charlie Hebdo'. Je me sens aussi en sécurité ici qu’à Paris."
Un relativisme auquel souscrit Abdel Jaoued, sculpteur de bronze : "Le Maroc a subi la même chose et les touristes ne sont pas partis. Il va peut-être y avoir un impact sur la clientèle à court terme. Mais je ne suis pas inquiet, cela va revenir", affirme-t-il, avant d’affiner de son couteau les arabesques de son assiette couleur or.
Le tourisme de loisir, un secteur sensible
Tunis est loin d’être la première destination touristique à être frappée par le terrorisme. Paris, New York, Bruxelles, ou encore Londres, Madrid et Istanbul ont également été touchées. "Être touriste aujourd’hui, c’est prendre un risque. Mais il y une résilience de plus en forte et la croissance mondiale du tourisme en atteste", analyse Thomas Deschamps, responsable de l’observatoire du tourisme parisien.
L’impact sur le secteur n’est pas nul pour autant. À New York, un mois après les attentats du 11-Septembre, les hôtels enregistraient un taux d’occupation de 5 %. À Paris, la fréquentation des hôtels a baissé de 9 % entre le 8 et le 18 janvier, selon une étude de MKG Hospitality, cabinet d'analyse touristique. "À Paris, on ne s’en sort pas trop mal parce que le tourisme y est très varié et que la tuerie de 'Charlie' a eu lieu en très basse saison", relativise Thomas Deschamps.
Contrairement à la Tunisie : "Les réservations d’été commencent en ce moment et la clientèle qui va en Tunisie est plutôt une clientèle de club, familiale, cherchant le soleil avant tout, plus qu’une expérience culturelle", analyse Thomas Deschamps, ajoutant que le tourisme d’affaires est moins perméable aux questions sécuritaires. Premier test pour les autorités tunisiennes : le Forum social mondial, la grand-messe altermondialiste qui ouvre mardi, à Tunis, pour quatre jours. Selon le comité d’organisation, toutes les délégations ont confirmé leur participation.