
Une entreprise de Houston a fait le trajet jusqu’à Hunt, au centre du Texas, avec un camion-citerne. Elle alimente gratuitement les nombreuses tractopelles qui déblaient à la hâte, le 11 juillet 2025, les propriétés nichées sur le long de la rivière Guadalupe. © Mehdi Bouzouina, France 24
Sur les rives ravagées du fleuve Guadalupe, une dizaine de jeunes bénévoles tronçonnent sans relâche, vendredi 11 juillet, les arbres couchés et les débris entassés. Juste en face, une entreprise de Houston a fait le trajet jusqu’à Hunt, au centre du Texas, avec un camion-citerne. Elle alimente gratuitement les nombreuses tractopelles qui déblaient à la hâte les propriétés nichées sur le long du cours d’eau. Il faut aller vite : nettoyer les environs permet aux secouristes, par centaines, de fouiller méthodiquement chaque mètre carré avec l’aide de chiens renifleurs. Leur mission est de tenter de localiser les corps des quelque 170 disparus, emportés par la crue subite du 4 juillet.
L’air est saturé d'odeurs de bois pourri. Le brouhaha est incessant, entre le ronflement des groupes électrogènes, les moteurs des engins de chantier et les rondes des hélicoptères et des drones qui patrouillent dans les airs pour repérer d’éventuelles silhouettes dans la boue. Des débris ont été sortis des quelques baraques dévastées qui jonchaient les rives. Des habits, des matelas ou encore des bouts de métal sont encore coincés dans les arbres. "C’est un endroit magnifique en temps normal, la nature est florissante et le Guadalupe si calme : les locaux disent que c’est ici que Dieu vient en vacances”, tente de s'ouvrir Ryan Trammell, qui a perdu plusieurs amis dans la tragédie.
"On n’est jamais trop nombreux"
L’ancien policier reconverti en chef d’orchestre improvisé, chapeaute l’organisation avec calme. Chapeau de cowboy vissé sur le crâne, regard circulaire, ce local s’assure que chaque bénévole ait une tâche : "On n’est jamais trop nombreux", promet-il. Dans le hall de la caserne de pompiers de Hunt, transformée en centre logistique, les packs d’eau, les cartons de couches et vivres de première urgence sont empilés méthodiquement.

La ville est bondée, les routes saturées, mais de ce chaos émerge un sentiment de fluidité. Un QR code placardé à l’entrée permet d’enregistrer les nouveaux arrivants, dont certains ont pris la route dès les premiers instants de la tragédie pour porter main forte aux habitants. À l’image de Michael Gonzales, vétéran de l’armée américaine en provenance de Lytle, près de San Antonio. Le quinquagénaire a monté un stand de fortune avec plusieurs amis et cuisine des steaks sur une plancha : à l’approche du déjeuner, les secouristes viennent s’y ravitailler en burger avant de retourner au front. Partout, des palettes d’eau minérale s’entassent, la commune n'ayant plus accès à l’eau potable.
Les habitants ont pris l'habitude de se retrouver sous des tentes en face du Hunt Store, poumon de la vie publique locale. Cette sorte d’épicerie de campagne qui fait office de bar, de MJC, de lieu de concert et d’alimentation générale à la fois, a été ravagée par la montée des eaux. La structure tient toujours, mais le magasin est sens dessus dessous. "C’est un peu notre salon en temps normal, un lieu où l’on se sent bien : c’était logique qu’on s’y retrouve en ces temps difficiles”, raconte Cassie Hyde.
Ses amies Sherry Davenport et Sara Kendrick tentent d’énumérer la longue liste des disparus. Elles connaissaient bien Dick Eastland, le directeur du Camp Mystic, décédé en tentant de sauver les filles de la colonie de vacances dont le dortoir a été balayé par les flots en plein milieu de la nuit. Au moins 27 d’entre elles sont décédées et une dizaine encore portées disparues. "Nous apportons un soutien moral aux secours en essayant de garder espoir : ce serait trop dur de rester chez soi à se morfondre", lâche Sara Kendrick, épuisée par des jours entiers sur le terrain.
"Ce n’est vraiment pas le moment de parler de politique"
Cette chargée de marketing, qui habite depuis 20 ans à Hunt, n’a pas été réveillée par une alerte durant la nuit du 3 au 4 juillet. Elle refuse pour autant de chercher des responsables, ou même de commenter la venue du président Donald Trump, qui devraient rencontrer les familles endeuillées et suivre les secouristes dans leurs opérations de recherche. Le président américain est attendu sur place, vendredi 11 juillet, avec son épouse Melania et devrait participer à des réunions avec les élus locaux, dont le gouverneur du Texas Greg Abbott et des officiels du comté de Kerr, qui sont au cœur de la polémique.
La région est en proie depuis des décennies à des crues soudaines, préoccupantes malgré leur plus faible intensité. Le gérant du Camp Mystic avait d’ailleurs alerté les autorités à plusieurs reprises de ses inquiétudes quant au système d’alerte. Malgré des discussions au niveau local, le projet de mise en place d’un dispositif plus moderne, évoqué il y a huit ans, n’avait finalement pas été adopté, faute de budget, et ce malgré une demande de soutien de la part du Texas.

"Ce n’est vraiment pas le moment de parler de politique, nous sommes encore bouleversés par cette terrible tragédie", tonne Sara. C’est l’un de ses amis qui l’a prévenu au petit matin par message de la catastrophe, lui demandant de prier pour lui, alors que les eaux atteignaient le deuxième étage de son logement. Si elle est restée coincée pendant près d’une journée sans pouvoir sortir de chez elle, la quadragénaire s'estime chanceuse. "Nous n’avons pas vraiment eu de dommages, à part au niveau du ranch", raconte-t-elle. Des amis de la famille ont perdu une fille dans la tragédie : elle prie tous les jours dans l’espoir de retrouver des survivants.
Cela tiendrait désormais du miracle : les espoirs de survie sont quasi nuls une semaine après la catastrophe, les victimes vraisemblablement emportées par le courant. Les équipes de brigades cynophiles et de plongeurs mobilisés sur le fleuve Guadalupe ont plutôt pour objectif de retrouver des restes humains à rapporter aux familles. L'un d’entre eux retourne au village avec un couvercle de malles, celles qu’utilisaient les fillettes du Camp Mystic pour ranger leurs affaires. "Nous allons le rendre aux parents, que nous avons identifié, c’est une étape difficile mais importante pour qu’ils puissent faire leur deuil".