
La journaliste Delphine Minoui a passé dix ans en Iran en tant que correspondante pour différents médias. Issue d'une famille mixte franco-iranienne, elle retrace dans le livre "Je vous écris de Téhéran", une lettre émouvante adressée à son défunt grand-père, cette expérience professionnelle et personnelle. Elle est l'invitée de Sylvain Attal.
Accro à l’Iran. Ainsi se dépeint Delphine Minoui, cinq ans après avoir quitté Téhéran, en 2009, la peur au ventre, harcelée par la police d'un régime qui n’a cessé, dix ans durant, de jouer avec les nerfs de la correspondante du "Figaro", comme avec ceux de beaucoup d’autres journalistes occidentaux, particulièrement lorsqu’ils avaient, comme elle, des origines iraniennes.
Ce n’était pourtant pas la première fois qu’elle tournait le dos "à cette moitié retrouvée d’elle même", quasi certaine de ne plus y revenir. Mais à chaque fois, il y eut de nouvelles invitations, au gré des caprices d’un régime intrigant (dans tous les sens du terme), en délicatesse avec l’occident depuis 35 ans, mais régulièrement tenté de communiquer avec lui. Et de séduire.
Dans "Je vous écris de Téhéran", Delphine Minoui raconte ces parties de cache-cache à répétition avec la police, interrogatoires terrorisants, ces départs précipités invariablement suivis de retours pleins d’espoir. Et jusqu’au cambriolage de son studio parisien où lui fut volé son ordinateur. À chaque fois elle y est retournée, consentant à ce jeu qui, elle le sait d’expérience, aurait pu la jeter au fond d’une geôle : "Plus l’Iran me maltraitait, plus j’en redemandais, comme une femme battue qui refuse de reconnaître ses cicatrices".
Car, évidemment, la quête de la jeune pigiste, fraîchement diplômée d’une école de journalisme, n’a rien d’une aventure strictement professionnelle. Lorsqu’elle prend, un jour de 1998, un billet pour Téhéran, elle pense y rester une semaine, le temps d’un reportage pour Radio France sur un pays qui traverse alors (déjà ?) un vent de libéralisation avec l’élection à la présidence d’un mollah réformiste, Mohammad Khatami. Ce départ suit aussi de quelques mois la disparition de son grand-père iranien, Babaï, à la fois si proche et si lointain. Elle n’avait avec lui, exceptées quelques vacances au "pays au goût de grenadine", que des liens épistoliers. Il n’avait jamais voulu quitter son pays. En dix ans, Delphine Minoui va à la fois renouer avec cette identité mythique (elle se sent française à 100 %), et acquérir ses lettres de noblesse journalistique (lauréate du prix Albert Londres en 2006). Son récit prend la forme d’une lettre posthume à son aïeul, à la fois carnet de route journalistique et témoignage personnel.
Les paradoxes iraniens
Touchée par l’amour de tous les Iraniens pour leur pays, même des plus acharnés contre la République islamique, elle attrape le virus. Elle est, bien entendu, en empathie avec ces Iraniens, en particulier cette jeunesse qui rêve de liberté et d’ouverture, au point de franchir parfois la limite théoriquement établie entre l’activisme et le journalisme. Elle partage avec eux leurs espoirs comme leurs terreurs : après les années Khatami, le tour de vis conservateur d’Ahmadinejad (à partir de 2005), les élections truquées de 2009, la victoire volée à un autre modéré Hossein Moussavi.
Même aux prises avec un régime brutal et inquiétant, qui piétine les droits de l’Homme et restreint singulièrement la liberté de la presse, elle ne cesse jamais de nous le présenter dans toute sa complexité. Ces fameux "paradoxes iraniens", elle a plus d’une fois posé son doigt dessus : il y a ce jeune mollah en blouson de cuir, accro à Internet, qui lui propose un "sigheh", un mariage temporaire. Elle comprend alors, à peine arrivée, que le fondamentalisme chiite sait avoir ses petits accommodements avec le désir… Ou bien Fatemeh, l’épouse d’un bassidji, un de ces miliciens chargés de faire respecter même brutalement l’ordre et la morale islamique, qui a, elle, un penchant pour les réformes et l’attire dans des soirées "entre filles" où l’on troque le tchador pour des tenues sexys. Et encore ce commerçant juif du bazar, Moses Baba, qui derrière ses bouteilles de vodka, et malgré les brimades et les persécutions qui visent régulièrement sa communauté, lui confie que pour lui "l’Iran est plus tendre qu’une mère".
Delphine Minoui, "Je vous écris de Téhéran", 320 pages, éditions du Seuil, 2015