
Alors que le modèle économique brésilien bat de l'aile, la cote de popularité de Dilma Rousseff chute dans les sondages. Trois mois à peine après sa réélection, un appel à manifester pour demander sa démission a été lancé pour le 15 mars.
La cote de popularité de Dilma Rousseff a suivi la même tendance que le modèle brésilien : la dégringolade. Depuis le début de l’année, la présidente de la première économie d’Amérique latine a chuté de près de 20 % dans les sondages d'opinion, tandis que le Brésil enregistre une croissance à l’arrêt, une inflation galopante et un scandale de corruption qui fait trembler la coalition au pouvoir.
"Après les élections d’octobre, les Brésiliens ont été confrontés à la réalité des faits", analyse Alessandro Janoni, directeur de recherche pour l’institut de sondage brésilien, Datafolha. "Depuis le début de l’année, les gens ont vu les prix monter régulièrement et, pour la grande majorité, ils en ont attribué la responsabilité à Dilma Rousseff."
Au lendemain de sa courte victoire sur son rival social-démocrate, Aécio Neves, le 26 octobre 2014, 42 % des Brésiliens estimaient que la présidente faisaient du "bon" ou un "excellent" travail. Le chiffre est resté stable jusqu’en décembre, avant de chuter à 23 % d’opinion favorable en février, selon Datafloha.
L’image de la présidente n’a pas seulement pris un coup dans le sud prospère du Brésil, où Neves avait remporté la majorité de ses voix. Mais c’est dans le nord, traditionnellement acquis au Parti des travailleurs (PT, gauche), que sa popularité a connu la chute la plus spectaculaire. En décembre, 53 % des habitants du Nordeste estimaient que Dilma Rousseff faisait du "bon" ou un "excellent" travail, contre 29 % en février. "C’est le résultat le plus surprenant de notre sondage", poursuit Alessandro Janoni, interrogé par France 24.
Un pessimisme généralisé
La présidente fait les frais d’un modèle qui bat de l’aile. Loin des 7,5 % de croissance enregistrés en 2010, l’économie brésilienne est à l’arrêt. Après une année de croissance pratiquement nulle en 2014, le Brésil devrait connaître la récession en 2015, selon des projections d’économistes interrogés par la Banque centrale. Selon l’Institut national des statistiques IBGE, les prix ont augmenté de 1,22 % en février, tandis que l’inflation atteignait 7,7 % sur un an, un niveau sans précédent depuis mai 2005.
Pierre, un Franco-brésilien de 45 ans qui vit à Porto-Alegre, pôle industriel du sud du Brésil, a vu sa facture d’électricité augmenter de 22 % cette année, et celle de sa mutuelle santé de 20 %. Et pendant ce temps, les services de base – des transports publics aux soins médicaux – n’ont connu aucune amélioration.
"L’état de l’économie brésilienne m’inquiète beaucoup", confie Pierre, installé au Brésil depuis 17 ans. "Je commence même à envisager de rentrer en France même si je sais que la France n’est pas au beau fixe non plus". Le pessimisme de Pierre est partagé par de plus en plus de Brésiliens. Selon Datafolha, ils sont 27 % de plus qu’il y a trois mois à s’attendre à voir l’inflation poursuivre sa course folle. Et près de deux tiers des personnes interrogées redoutent que le chômage (qui frappe désormais 5,3 % de la population active) augmente.
Journée de colère en vue le 15 mars
Au pessimisme s’ajoute la colère quand on en vient au scandale Petrobras. Vendredi 6 mars, le procureur général de la République, Rodrigo Janot, a révélé la liste complète des 54 personnalités impliquées dans l’affaire de corruption du géant pétrolier. Les quatre plus grands partis, dont le PT de Dilma Rousseff et de son prédécesseur Luiz Inacio Lula da Silva, sont soupçonnés d’avoir reçu des commissions pharaoniques.
"Des milliards ont été volés. Cet argent aurait pu servir à construire des hôpitaux et des écoles. C’est fou !", s’insurge Pierre qui se joindra aux manifestations du 15 mars pour réclamer la démission ("impeachment") de la présidente, deux mois et demi à peine après le début de son second mandat.
La fronde a envahi les réseaux sociaux. Selon le site du "Globo", pas moins de 37 pages Facebook ont été créées pour demander aux citoyens de descendre dans les rues. La plupart sont alimentées par des membres de l’opposition de la droite brésilienne mais ceux qui exigent "l’impeachment" à cor et à cri ne sont qu'une minorité. Ils trouvent cependant un écho dans une opinion exaspérée. Pierre ne s’attend pas à voir Dilma Rousseff démissionner, mais il met un point d’honneur à exprimer sa colère. "Assez, c’est assez ! Je n’ai pas voté pour elle, mais Dilma est la présidente maintenant. Il est grand temps qu’elle se mette au travail", fulmine-t-il.
Et justement, nombreux sont ceux qui ne croient pas Dilma Rousseff capable de finir le travail. Notamment les dissidents de son propre camp – les plus acerbes – qui auraient préféré la candidature de Lula en 2014, plutôt que la réélection in extremis de sa dauphine.
Les cendres encore fumantes de 2013
Selon Carlos Mossi, directeur régional de la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (Cepalc), le Brésil va devoir attendre un certain temps avant le retour des beaux jours. Il n’exclut pas une nouvelle récession à court terme. "Le gouvernement a fait des ajustements économiques, mais les déboires de l’an dernier ne sont pas résolus", explique-t-il à France 24. "Il est très difficile de faire des prévisions. Nous sommes dans une période de transition durant laquelle les réformes vont commencer à porter leurs fruits, avec l’espoir que cela fasse le moins de dégâts possibles sur la croissance", ajoute-t-il.
Dilma Rousseff a conscience que le temps joue contre elle. Lors d'un discours télévisé, dimanche 8 mars, la présidente brésilienne a défendu sa politique d’austérité budgétaire, appelant ses compatriotes à accepter ces "sacrifices temporaires", mais reconnaissant qu’ils ne porteraient pas leurs fruits avant la fin de l’année. "C’est un processus qui durera aussi longtemps que nécessaire pour rééquilibrer notre économie", a-t-elle souligné tout en reconnaissant ne pas attendre de réaction avant la fin du second semestre.
Trois mois à attendre, cela semble long quand la mèche est déjà allumée. D’autant que les souvenirs de la fronde de 2013 sont encore vivaces. En juin, des centaines de milliers de Brésiliens avaient manifesté pour dénoncer la hausse du coût des transports publics et la facture du Mondial 2014. Rio de Janeiro avait alors été le théâtre de scènes de guérilla urbaine. Faut-il s’attendre à voir se reproduire de telles émeutes alors que Rio se prépare à accueillir les Jeux olympiques de 2016, sur fond de scandale Petrobras ?
Il est peu probable que les manifestations prévues le 15 mars prennent une telle ampleur, selon Alessandro Janoni. Le chercheur pense qu'elles seront circonscrites aux mégalopoles de Rio de Janeiro et Sao Paulo. "Cela dépendra du climat économique. Rousseff pourrait soudain réaliser de nouveaux succès et assurer le redressement économique. Dans le passé, de gros scandales pouvaient passer pour anodins aux yeux des Brésiliens tant que l’économie fleurissait", conclut Janoni. Les semaines à venir seront décisives.