Leela Jacinto est l'envoyée spéciale de France24.com à Bombay. Objectif : enquêter sur les attaques terroristes, comprendre ce qui s'est passé, parcourir la ville et rencontrer ses habitants. Posez-lui vos questions en cliquant sur 'Réagir'.
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Vêtu d’un "kurta-pyjama" blanc étincelant, le costume traditionnel favori des hommes politiques indiens, Vilasrao Deshmukh, Premier ministre de l'Etat du Maharashtra, entre dans la pièce.
Les journalistes commencent alors à râler - les cameramen hurlent contre les photographes assis devant parce qu’ils sont dans le champ des caméras. Une ruée se forme alors que des correspondants de télévision et de radio arrachent littéralement les câbles des autres car il n’y a pas assez de prises pour tous les médias présents.
Mais ce n’est qu’un apéritif. Rien comparé à l’explosion d’hostilité qui a surgi une fois la conférence de presse commencée.
Les conférences de presse en Inde peuvent être très bruyantes. Les journalistes indiens, une bande de durs à cuire souvent écœurés par les politiciens, peuvent se montrer brutaux quand il s’agit de cuisiner ces derniers.
Aujourd’hui, ils sont clairement hostiles, même pour les standards indiens.
Nous sommes réunis dans le bureau du Premier ministre du Maharashtra, l’Etat dont Bombay est la capitale, pour une conférence de presse extraordinaire.
Les journaux du matin et les télévisions rapportent d’ores et déjà que Deshmukh est "sur le point de partir". Hier, le ministre de l’Intérieur Shivraj Patil a démissionné, indiquant qu'il se sentait obligé d'assumer la "responsabilité morale" de l’incapacité du gouvernement à agir à partir des renseignements qu’il avait pour empêcher la carnage survenu la semaine dernière dans la capitale commerciale indienne.
Alors que le bilan humain des attaques est désormais connu, la ville est prête à voir des têtes tomber.
La conférence de presse commence en retard - comme d’habitude - et dans la salle d’attente, les Blackberry sont prêts à envoyer l’annonce de la démission de Deshmukh.
Alors, quand le probable ex-Premier ministre commence la conférence de presse en annonçant une série de nouvelles mesures de sécurité (un centre de commande unifié pour la sécurité, un nouveau centre d’entraînement pour les services de renseignements, de nouvelles commandes de vedettes pour les patrouilles côtières), un certain dédain s'empare de l'audience. Pour les habitants de la ville, journalistes compris, qui ont connu à plusieurs reprises ces dernières années l’horreur des attaques terroristes, ce n’est pas suffisant et c’est trop tard.
A peine Deshmukh a-t-il commencé à évoquer le sujet des récompenses pour les plus courageux, qu’un journaliste lui coupe la parole et le prie de répondre à la question que tout le monde se pose. Ses collègues se joignent immédiatement à lui. "Le ministre de l’Intérieur a démissionné, crie l’un d’eux. Qu’est-ce que vous faites là ?"
Toute la conférence a lieu en marathi, la langue régionale du Maharashtra. Avec son rythme énergique et rustique, cette langue n’est pas faite pour les faibles. Je commence à transpirer pour Deshmukh.
Celui-ci se contente d’une réponse toute faite : "J’ai présenté ma démission", répète-t-il en anglais, optant pour le stoïcisme de la langue de la reine. "Quelle que soit la décision que prendront les autorités, je dois m’y soumettre."
Les dirigeants du Parti du Congrès auquel appartient Deshmukh, le plus grand parti de la coalition, sont en train de se pencher sur son sort. Malgré son impopularité, Deshmukh pourrait être difficile à remplacer avant les élections nationales de l’année prochaine.
Difficile pourtant d’imaginer qu’il pourrait reprendre normalement son travail. Car les habitants de la ville sont en colère contre leurs dirigeants. Certains m’ont dit qu’ils n’étaient pas disposés à reprendre une vie normale parce que cela engendrerait plus de suffisance encore dans la classe politique indienne. Quelque chose a changé dans cette ville. Mais je ne suis pas sûre que ce changement transformera la façon dont les choses marchent - ou échouent - ici.