
Des manifestants brandissent des pancartes lors d'une manifestation intitulée "Lift The Ban" (Lève l'interdiction) en soutien au groupe Palestine Action, à Londres, le 9 août 2025. © Henry Nicholls, AFP
"Je soutiens Palestine Action. Et si cette décision fait de moi un soutien du terrorisme, selon les lois britanniques, alors tant pis." L'autrice irlandaise Sally Rooney, connue notamment pour son roman à succès "Normal People", a annoncé, samedi 16 août, qu'elle allait reverser une partie de ses revenus au groupe pro-palestinien Palestine Action.
"J’ai l’intention d’utiliser ces revenus issus de mon travail, et ma notoriété de manière plus large, pour soutenir Palestine Action", écrit la romancière de 34 ans dans une tribune publiée dans The Irish Times.
Dans le détail, la militante de gauche, qui a déjà affiché à plusieurs reprises son soutien à la cause palestinienne, compte consacrer tous les "royalties" issus des adaptations télévisées de ses romans - notamment les droits d’auteur de la BBC pour la série "Normal People" (2020) et pour la série "Conversations entre amis" (2022) - au financement du mouvement.
Mais cet engagement pourrait lui coûter cher. Depuis début juillet, Palestine Action est interdit au Royaume-Uni et classé comme une "organisation terroriste". Quiconque y apporte son soutien, a fortiori financier, risque désormais une peine allant jusqu'à 14 ans de prison.
Destructions de bien, occupation, peinture rouge…
Palestine Action a été fondée en 2020 par une militante pro-palestinienne, Huda Ammori. Née près de Manchester, d'un père palestinien et d'une mère irakienne, cette trentenaire a d'abord fait ses armes auprès de la Palestine Solidarity Campaign, le plus grand groupe britannique dédié à la cause palestinienne, en participant à des campagnes de boycott et de lobbying auprès de députés britanniques.
Mais, en 2020, frustrée de "l'inefficacité des campagnes traditionnelles", elle décide de quitter son emploi et s'allie avec Richard Barnard, un activiste de longue date du mouvement de défense du climat Extinction Rebellion. Ensemble, ils fondent Palestine Action avec un objectif affiché : dénoncer "la complicité britannique" avec l’État d’Israël, en particulier sur la question des ventes d’armes.
Pour faire entendre son combat, le mouvement suit la méthode forte d'Extinction Rébellion et opte pour la désobéissance civile. Effractions, occupations de bâtiments, façades aspergées de peinture rouge, destructions de matériels, militants qui s’enchaînent à des portes d’usines… Le groupe privilégie l’action directe et multiplie les actes de vandalisme.
Au départ, il cible principalement les filiales sur le territoire britannique d'Elbit Systems, le plus grand fabricant d'armes d'Israël. Dès septembre 2020, des militants occupent une de ses usines à Shenstone, dans le centre du pays. Mais progressivement, le mouvement élargit ses activités et commence à viser des banques, des universités, des compagnies d'assurance ou encore des bâtiments gouvernementaux, épinglant à chaque fois une proximité avec l'État hébreu.
En 2022, des militants s'emparent, cette fois, à coups de fumigène et de banderole, d'un site du groupe de défense français Thalès, à Glasgow, en Écosse. Quelques semaines plus tard - peu après que des militants pour le climat ont jeté de la soupe à la tomate sur un tableau de Van Gogh - deux autres aspergent de ketchup une statue d'un ancien Premier ministre à la Chambre des communes, connu pour avoir signé en 1917 un document soutenant la création d'un "foyer national pour le peuple juif" en Palestine.

Puis tout s'accélère après le déclenchement de la guerre à Gaza en octobre 2023. Alors que plus de 60 000 Palestiniens, dont une vaste majorité de civils et de nombreux enfants, ont été tués dans des bombardements israéliens, la mobilisation en soutien à la cause palestinienne prend de l'ampleur ainsi que Palestine Action… Et les actions se multiplient. Selon un décompte effectué par The Sunday Times, Palestine Action comptabilisait ainsi 17 actions en 2020 contre 170 en 2024.
En quelques mois, des militants recouvrent de peinture des locaux de la BBC et le ministère des Affaires étrangères et bloquent des dizaines d'entreprises. En mars 2025, Palestine Action fait la une des médias pour s'en être pris à un golfe appartenant au président américain, Donald Trump, dans le sud-ouest de l'Écosse. Entrés par effraction, des militants y ont écrit "Gaza is not for sale" ("Gaza n’est pas à vendre") en lettres majuscules sur le gazon. Une référence au projet du milliardaire de transformer l’enclave palestinienne en "Côte d’Azur du Moyen-Orient", dénoncé par le chef de l’ONU comme un soutien au nettoyage ethnique.
Mais c'est une action organisée le 20 juin qui finit de mettre le feu aux poudres. Ce jour-là, plusieurs militants de l'organisation s'infiltrent dans la plus importante base de l’armée de l’air du Royaume-Uni, à Brize Norton, et dégradent deux avions militaires. Les dégâts sont évalués à 7 millions de livres (8 millions d’euros) par la police.
Immédiatement, le Premier ministre, Keir Starmer, réclame l’interdiction de Palestine Action. Sa requête est acceptée quelques jours plus tard par le parlement britannique, qui inscrit le groupe sur la liste des "organisations terroristes". Son nom apparaît désormais aux côtés du mouvement islamiste palestinien Hamas, d’Al-Qaïda, du groupe paramilitaire russe Wagner et de certains groupes néonazis. La décision est lourde de conséquences : il est désormais interdit d'afficher un quelconque soutien, pas même un T-shirt arborant le logo du groupe, ou d'être membre de l'organisation.
"Depuis sa création, Palestine Action a orchestré une campagne nationale d'actions criminelles contre des entreprises et des institutions, notamment des infrastructures nationales majeures et des entreprises de défense", a expliqué la ministre de l'Intérieur, Yvette Cooper, à la Chambre des communes. Et "ses activités ont augmenté en fréquence et en gravité depuis le début de l'année 2024 et ses méthodes sont devenues plus agressives, ses membres se montrant prêts à recourir à la violence", a-t-elle assuré.
Plus de 700 arrestations
Mais cela n'a pas découragé les militants de la cause palestinienne, bien au contraire. Depuis l'interdiction de Palestine Action, des manifestations de soutien sont régulièrement organisées à travers le pays, durant lesquelles des dizaines de personnes sont interpellées.
Au total, en vertu de la loi, plus de 700 personnes ont déjà été arrêtées et une soixantaine vont être poursuivies, uniquement pour avoir apporté leur soutien à Palestine Action, notamment en brandissant des pancartes lors de ces rassemblements pacifiques.
Parmi eux, plusieurs personnalités comme la poétesse primée Alice Oswald, des jeunes, mais aussi de nombreuses personnes âgées. Selon la Metropolitan Police, la moitié des personnes arrêtées lors d’une manifestation organisée début août avaient ainsi plus de 60 ans.
Et ces images de personnes arrêtées manu militari simplement pour avoir tenu des pancartes affichant "Je m’oppose au génocide, je soutiens Palestine Action", relayées sur les réseaux sociaux, ont participé à déclencher une véritable levée de boucliers dans le pays. De nombreuses voix s'élèvent dénonçant une décision "disproportionnée" et une "atteinte à la liberté d'expression et de manifester".
"Des centaines de personnes risquent des peines de prison pour s'être assises tranquillement en brandissant des pancartes. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi cette décision pourrait entraîner une restriction disproportionnée de la liberté d'expression des citoyens", note Areeba Hamid, codirectrice exécutive de Greenpeace UK.
Un "amalgame entre protestation et terrorisme"
Dans une lettre ouverte publiée mercredi 6 août dans le média britannique The Guardian, 52 universitaires et écrivains, dont les philosophes Judith Butler et Angela Davis, appellent ainsi le gouvernement à faire marche arrière. Cette décision est "une attaque à la fois contre l’ensemble du mouvement pro-palestinien et contre les libertés fondamentales d’expression, d’association, de réunion et de manifestation", dénoncent-ils.
De leur côté, deux organisations d'avocats alertent, eux aussi dans The Guardian, contre le risque de créer un "grave précédent". "L'interdiction d'un groupe menant des actions directes est une mesure sans précédent et marque un fort retour en arrière pour les libertés civiles", écrivent 266 avocats. "L'amalgame entre protestation et terrorisme est la marque distinctive des régimes autoritaires. Notre gouvernement a déclaré qu'il s'engageait à respecter l'État de droit : cela doit inclure le droit de manifester."
"Recourir à la loi antiterroriste pour interdire à Palestine Action de mener ses actions est un usage abusif de cette législation et une atteinte au droit de manifester créant un dangereux précédent", résument-ils.
Au-delà des frontières britanniques, la décision interroge jusqu'aux arcanes des Nations unies. Selon le Haut-Commissaire aux droits humains à l'ONU, Volker Turk, l’interdiction soulève des "préoccupations sérieuses quant à l’application des lois antiterroristes à des actes qui ne relèvent pas du terrorisme", rappelant que, selon les normes internationales, les actes terroristes devraient se limiter à des infractions criminelles visant à causer la mort ou des blessures graves, ou à la prise d’otages, dans le but d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement. Jusqu’à présent, les militants de Palestine Action n’ont jamais fait de blessés.
L'interdiction de Palestine action avait immédiatement été contestée en justice par la cofondatrice du groupe, Huda Ammori. L’examen de son recours est prévu en novembre.