À mesure que s'approche la commémoration du centenaire du génocide arménien, prévue le 24 avril 2015, le président turc Recep Tayyip Erdogan multiplie les provocations à l’égard d'Erevan, éloignant un peu plus tout espoir de réconciliation.
Après avoir suscité, mi-janvier, l’indignation du président arménien en l'invitant aux célébrations en grandes pompes du 100e anniversaire de la bataille de Gallipoli (qui a vu les troupes dirigées par Mustafa Kemal Atatürk résister à l’invasion franco-britannique dans les Dardanelles), organisées en Turquie le 23 et le 24 avril prochain, sans ignorer que serait organisée ce même jour la commémoration du génocide arménien, Recep Tayyip Erdogan persiste et signe.
Lors de sa tournée latino-américaine, le président turc a accusé, mardi 10 février, l’Arménie d’avoir tourné le dos à la paix et au dialogue avec sa réponse "irrespectueuse" à l’invitation turque, qu'Ankara avait également envoyée à une centaine de chefs d'État.
"Intention grossière"
Offusqué par la manoeuvre, le président arménien avait vivement réagi dans une lettre publiée dans les médias. Serge Sarkissian avait alors dénoncé "l'intention grossière" de la Turquie "de détourner l'attention de la communauté internationale de la commémoration du centenaire du génocide arménien". Il accuse en outre Erdogan d’avoir sciemment avancé la date des célébrations de la bataille de Gallipoli, d’ordinaire jamais organisées le 24 avril.
Le président Sarkissian a même indiqué qu’il avait lui-même formellement invité en 2014 son homologue turc à participer aux commémorations du centenaire du génocide arménien et à la grande cérémonie qui sera organisée à Erevan. "Il n'est pas coutume, chez nous, de nous rendre chez des hôtes qui ont dédaigné de répondre à notre propre invitation", avait-il écrit.
Toujours depuis la Colombie, le président turc s’en est également pris à la diaspora arménienne, qu'il accuse d’avoir lancé "une campagne contre la Turquie", dans le cadre des préparations de la commémoration du centenaire du génocide arménien.
"La Turquie n'a pas l'intention de faire de la propagande, a-t-il déclaré. Nous avons ardemment voulu que les événements de 1915 soient étudiés et décrits dans la vérité. Nous avons fait l’effort de tendre la main à l'Arménie. Malheureusement cette main a toujours été rejetée à cause de l'influence de la diaspora arménienne".
Pressions à l’approche du centenaire
Ces nouvelles déclarations de Recep Tayyip Erdogan trahissent les angoisses du gouvernement turc de voir s'accroître la pression sur Ankara pour qu'elle reconnaisse, un siècle plus tard, une page noire de son histoire, même si les faits incriminés se sont déroulés avant la naissance de la Turquie moderne.
Fin janvier, le président François Hollande, avait déclaré que la négation du génocide était "insupportable car elle est une insulte", tout en appelant les autorités turques à poursuivre leur "effort de vérité". Le président français a fait savoir qu’il se rendra à Erevan le 24 avril prochain pour la commémoration du centenaire.
Le massacre, la déportation et la spoliation planifiés des Arméniens par l’Empire ottoman sont reconnus par plusieurs pays, dont la France, qui ont acté le terme "génocide". Jusqu’ici, le pouvoir turc rejette ce terme et menace de sanctionner tous les pays qui tentent d’adopter des législations punissant la négation du génocide. Selon la version turque, le massacre de 500 000 Arméniens (Erevan chiffre le nombre des victimes à 1,5 million), s’explique par le fait qu'ils s'étaient rangés lors de la Première mondiale du côté de l’ennemi russe, par les combats ou à cause de famines.
Contrer l’activisme arménien
Pour contrer l’activisme de la diaspora arménienne, qui milite pour la reconnaissance de la tragédie de 1915, le président turc avait annoncé, début janvier, que son pays combattra "activement" à toute campagne visant à faire reconnaître par la Turquie le caractère de génocide aux massacres d'Arméniens. "Le ministère des Affaires étrangères et les institutions concernées vont activement combattre ces allégations", avait-il déclaré lors d'un discours prononcé devant les ambassadeurs turcs. D’ailleurs, l'une des sessions de la conférence annuelle des ambassadeurs turcs était précisément consacrée à la définition d'une stratégie de lutte contre les efforts de l'Arménie et de la diaspora arménienne.
Pourtant en avril 2014, Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, avait offert des condoléances sans précédent "aux petits-enfants des Arméniens tués en 1915", parlant d'une "douleur commune". Un geste que d'aucuns avaient interprété comme un début d’infléchissement de la position turque, mais que les récentes sorties du président turc ont jeté aux oubliettes.