
envoyé spécial au Niger – Le Tchad, le Cameroun et le Niger sont engagés dans la lutte contre Boko Haram, dont les raids débordent désormais du Nigeria. L'envoyé spécial de France 24 Willy Bracciano rend compte de la situation dans la région dans son carnet de route.
Mercredi 18 février
Surprenantes découvertes dans des véhicules abandonnés par Boko Haram
Des voitures calcinées et des monticules de terre recouvrant les corps, au milieu des plantations de piments : c'est tout ce qu'il reste à Bosso des assaillants de Boko Haram.
La situation géographique de ce petit village du sud-est nigérien semble être une malédiction pour lui. Seuls 600 mètres le séparent du nord-est du Nigeria, où Boko Haram a établi son fief.
Le 6 février dernier, une violente attaque des jihadistes a fait fuir les habitants et causé la mort de plus de 400 personnes. Derrière eux, les jihadistes ont laissé des véhicules détruits, dans lesquels les soldats tchadiens trouvent des objets plutôt surprenants.
Tout d'abord, ils mettent la main sur des médicaments destinés à une personne séropositive et un carnet sur lequel, visiblement, un des assaillants apprenait l'alphabet arabe, la langue du Coran.
Un peu plus loin, sur le siège passager avant, se trouve sur une boîte de Philoket, un anti-hémorragique, selon un médecin militaire tchadien. La boîte contient encore plusieurs flacons de vitamines K.
Quelques jours plus tôt, les soldats ont récupéré des cartes mémoires des téléphones des jihadistes où l’ont peut voir de terrifiantes vidéos. Sur l’une d’elles, des hommes ont les mains attachées dans le dos et sont suspendus par les pieds depuis un pont. Une balle dans la tête et laissent tomber le corps.
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Mardi 17 février
Niger : Bosso, le village fantôme
Dans les rues de Bosso, les chèvres et les poules ont remplacé les hommes. Ce petit village du sud-est du Niger, à 45 kilomètres de Diffa, a des allures de ville fantôme. Les habitants ont fui vers d'autres localités depuis l'attaque sanglante lancée par Boko Haram le 6 février dernier.
"C'était un vrai carnage quand ils sont venus. Ce sont des drogués. Il y en a qui sont morts avec leurs explosifs sur eux sans que ça n'explose", raconte le Colonel Azem Bermandoa, porte-parole de l'armée tchadienne.
Dans la ville, les combats d'une rare violence ont causé la mort de plus de 400 personnes dont quatre soldats nigériens et huit soldats tchadiens. Les corps des assaillants ont été enterrés par la Croix rouge et l'armée nigérienne, le long des champs de piments dont la récolte pourrit au sol car ici, il n'y a plus personne pour s'en occuper.
La rivière Komadougou Yobé, qui sépare Bosso de Malam Fatori, est juste là devant nous. Le Nigeria est à 600 mètres.
Nous n'irons pas plus loin. C'est trop dangereux. "Nous sommes à portée de tirs", nous indiquent les militaires tchadiens qui prêtent main forte aux militaires nigériens.
Bien que les combattants de Boko Haram se soient retirés de l'autre côté de la frontière, au Nigeria, l'armée tchadienne ne se fait aucune illusion. Elle sait que les assaillants de Boko Haram peuvent revenir. Elle les attend de pied ferme.
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Lundi 16 février
Traque de Boko Haram au Tchad : mieux vaut ne pas être sans-papiers
Depuis que Boko Haram menace directement le Tchad, des milliers d'étrangers en défaut de pièce d'identité ont été arrêtés par la police.
Une vaste rafle pour prévenir toute tentative de pénétration illégale d'éléments de Boko Haram dans le pays. Même si les autorités savent bien que malgré leurs efforts pour verrouiller les frontières, aucune n'est totalement hermétique.
L'attaque à Ngouboua, dans le nord-ouest du pays, aux confins du lac Tchad, l'a rappelé récemment.
Cette chasse aux sorcières a un effet étonnant sur les Tchadiens eux-mêmes. Les centres administratifs connaissent une affluence inhabituelle de la part de citoyens soucieux de régulariser leur situation. Les files d'attente devant le service de l'immigration démarrent des 4 heures du matin et ne désemplissent pas avant midi. Amusé, un Tchadien fait le constat suivant : une vaste campagne civique n'aurait sans doute pas eu un effet aussi bénéfique sur les Tchadiens.
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Vendredi 13 janvier
En images : le village tchadien de Ngouboua ravagé par Boko Haram
Prises du ciel, les images des maisons incendiées sont impressionnantes. Le "modus operandi" porte la signature de Boko Haram. Le feu continue de se consumer : des voitures, des motos, des cases calcinées. Même les animaux n'ont pas été épargnés.
La ville tchadienne de Ngouboua vient de payer son tribut à Boko Haram. Cette petite localité située à plus de 10 heures de route de N’Djamena, la capitale, est la première victime de la secte islamiste sur le sol tchadien.
On peut lire la consternation sur certains visages. D'autres s'attendaient à cette attaque. Boko Haram avait d'ailleurs prévenu le chef du canton, voilà plusieurs jours, qu'il allait mourir. Et il a succombé à la folie meurtrière de la secte en recevant une balle perdue. Deux autres civils ont péri, ainsi qu'un militaire tchadien.
La proximité du village avec le Nigeria laissait supposer l'imminence d'une offensive. Au loin, des habitants observent les va-et-vient des militaires tchadiens, les pick-up transportant femmes et enfants vers des localités voisines.
Le sous-préfet et le gouverneur de la région du lac sont venus les rassurer. Des renforts arrivent pour sécuriser davantage le village. La région du lac Tchad était déjà sous haute surveillance, l'état d'alerte est aujourd'hui à son plus haut niveau.
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Jeudi 12 février
La menace Boko Haram dans le nord du Cameroun fait fuir les transporteurs
Roger a 27 ans. Depuis trois ans, ce jeune routier conduit fièrement un 40 tonnes entre Douala, au Cameroun, et N'Djamena, au Tchad. Voilà maintient une semaine qu'il patiente dans le centre de tri de N'Djamena avant de pouvoir repartir au Cameroun.
Ce fils d'agriculteur n'a pas vraiment choisi ce métier par amour. Il a suivi les pas de son frère pour nourrir son foyer, même s'il ne roule pas sur l'or avec ses 50 000 francs CFA mensuels (76 euros).
Dans son camion, ce père de famille achemine aussi bien du carrelage que des produits alimentaires. La route, il la connaît par cœur : les nids de poules de l'axe Douala-Maroua-Kousseri n'ont aucun secret pour lui.
"Parfois je ne sais même pas ce que je transporte. Sur le bordereau, il y a juste le nom du destinataire", confie-t-il.
Pour Roger, l'essentiel, c'est que sa marchandise arrive à destination. Mais depuis l'offensive de Boko Haram dans l'extrême nord du Cameroun, en accord avec son patron, Roger ne s'aventure plus sur cette route : "Ils nous égorgent de derrière."
Depuis trois mois, comme les 12 chauffeurs de sa société, il emprunte un itinéraire de contournement, en remontant par le sud du Tchad depuis Moundou, la capitale économique.
De Douala en passant par Moundou, Kelo, Bongor, Glendeng, jusqu'à N'Djamena, ce ne sont pas moins 4 000 kilomètres de route. Soit une centaine de kilomètres de plus que s'il traversait le Cameroun ou six jours de route au lieu de quatre en temps normal.
"On est plus fatigué par les tracasseries que par la route", lance le jeune homme. Par tracasserie, il faut entendre les petites sommes d'argent réclamées le long du trajet pour qu'il poursuive sereinement sa route. "Il est temps que les armées tchadienne et camerounaise nous débarrassent de Boko Haram", supplie-t-il.
En attendant, Roger préfère perdre du temps et de l'argent mais conserver sa vie.
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Mercredi 11 février
Lutte contre Boko Haram : l'économie tchadienne au ralenti
Le 17 janvier, quand le président tchadien Idriss Déby répond à l'appel de son homologue camerounais, Paul Biya, l'objectif clairement affiché est de partir en guerre contre Boko Haram. Idriss Déby avait déjà alerté la communauté internationale depuis plusieurs mois sur la déstabilisation régionale provoquée par Boko Haram. La Libye et le Niger au Nord, le Nigeria à l'Ouest, le Soudan et la Centrafrique à l'Est et le Cameroun au Sud.
Depuis deux ans, le Tchad a renforcé sa présence militaire aux frontières avec le Cameroun et désormais avec le Niger et le Nigeria, le long du lac Tchad. Malgré tout, Boko Haram est aux portes du Tchad. Un souci de plus pour ce pays enclavé, entouré de voisins qui peinent à assurer leur propre sécurité intérieure.
Mais le durcissement des mesures de sécurité au Tchad rend difficile l'acheminement des importations de biens de consommation et des exportations de bétail du pays. Dégager les passages frontaliers et les axes de circulation vitaux devient l’un des enjeux de l'engagement militaire tchadien dans la lutte contre Boko Haram, car le commerce est quasiment stoppé depuis un an et demi à la frontière avec le Nigeria. L'axe N’Djamena, Kousseri, Maidiguru est au point mort à cause de la présence de Boko Haram dans la zone de Fotokol et Gambaru.
>> À lire sur France 24 : Attaque meurtrière de Boko Haram contre l'armée tchadienne à Gambaru
"Il est devenu difficile et dangereux d'aller se ravitailler à Maiduguri", explique Hamed Hammad, commerçant sur le marché central de N’Djamena. Sa dernière cargaison de henné achetée au pays voisin remonte à trois mois. Par conséquent, il est contraint de le vendre plus cher qu'avant et les clientes toisent sa marchandise.
Même son de cloche, quelques étales plus loin chez un vendeur de lait en poudre. Sa marchandise vient de Dubaï, du Cameroun, des Pays-Bas et du Nigeria. Les trois derniers sacs de 25 kg de lait nigérian peinent à trouver preneurs, même en étant en tête de gondole. Il faut reconnaître que le prix est passé de 50 à 80 000 francs CFA.
Et ce ne sont pas seulement les produits nigérians qui semblent être touchés par cette inflation. Les produits vivriers, comme la tomate du Cameroun, ou encore les produits domestiques ne sont pas épargnés.
"Avant on achetait de la lessive à 750 francs, maintenant on la paie 900-1 000 francs CFA", confie dépitée, Chantal Lassere, une habituée du marché.
Les échanges qui passaient par le lac Tchad sur les grandes pirogues empruntent maintenant une longue route de contournement par le Niger. L'augmentation des coûts de transport se répercute sur les prix et l'État tchadien est privé d'importantes recettes douanières.
L'axe reliant N’Djamena au sud du Cameroun est sous haute surveillance. Cette route devenue dangereuse reste le principal débouché maritime pour le Tchad, où transite la majeure partie des approvisionnements destinés au sud du pays. Si cette guerre contre Boko Haram dure trop longtemps, le risque pour le Tchad est d’être asphyxié économiquement.
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Mardi 10 février
Lutte contre Boko Haram : en immersion avec la police tchadienne
L’alerte est à son maximum au Tchad. Par sa situation géographique, le pays est une cible directe de Boko Haram, qui poursuit ses offensives depuis le nord-est du Nigeria vers le Cameroun et les rives du lac Tchad.
Dans la guerre préventive menée par le president Idriss Déby contre Boko Haram, la maitrise des voies navigables est aussi une question de sécurité intérieure.
Le fleuve Chari, qui sépare la capitale N'Djamena du nord du Cameroun, est donc sous extrême surveillance. Notre caméra embarque avec la brigade fluviale de la police nationale. Ce sont les hommes du commissaire Prospère Bodé Ngaradjidi, dont la fonction principale est de sécuriser les voies maritimes.
Depuis les offensives de Boko Haram dans la région, toute navigation et toute pêche sont interdites sur la partie frontalière du fleuve Chari, car le Tchad redoute des attentats suicides sur son territoire.
>> À voir sur France 24 : face à l'avancée de Boko Haram, le Tchad renforce sa sécurité
Le long des deux rives, des Camerounais et des Tchadiens se rafraîchissent, sans se préoccuper des embarcations rapides de la police. Il fait 40 degrés.
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Nous approchons de la saison sèche et le Chari entame sa lente décrue. À certains endroits, les connaisseurs peuvent traverser à pied.
Une pirogue suspecte est signalée à 200 mètres. Elle sera rapidement arraisonnée. À son bord, un homme âgé jure être un pêcheur tchadien. Son embarcation et ses affaires sont passées au peigne fin par les policiers. Il pourrait cacher des armes, des explosifs ou des produits stupéfiants. Le pêcheur est rapidement conduit au poste le plus proche pour un interrogatoire. L'enquête révélera que l'individu suspect n'avait pas menti sur son identité et il sera relâché.
S'appuyant sur les informations de leurs confrères camerounais et sur leur réseau d'informateurs, les policiers continuent leur traque. Les patrouilles se succèdent jour et nuit.