La décision de la Banque centrale européenne de couper les vivres aux banques grecques est un coup dur porté au gouvernement de Tsipras. Elle oblige Athènes à agir plus vite que prévu, malgré les appels de la Grèce à bénéficier "d'un peu de temps".
Tous les clignotants boursiers ont viré au rouge en Grèce, mercredi 5 février. L’Athex 20, le principal indice de la place financière athénienne, a chuté de près de 7 % en fin de matinée. Les banques se trouvaient tout particulièrement dans l’œil du cyclone. La banque du Pirée a perdu près de 17 %, et la National Bank plus de 14 %.
La source de cet affolement se trouve à Francfort, et plus précisément à la Banque centrale européenne (BCE) qui a décidé à la surprise générale, mardi soir, de ne plus prêter à taux réduit aux banques grecques à partir du 11 février.
Plus de 10 milliards d’euros ont déjà quitté les banques grecques
"Jusqu’à présent, la BCE acceptait de prêter de l’argent en échange de titres grecs pourtant très mal notés par les agences de notation, ce qui est contraire à sa mission", rappelle Céline Antonin, spécialiste de l’économie grecque à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Ce n’était possible que parce que la Grèce était soumise à un programme international de sauvetage financier. "Cette décision est donc un premier avertissement très clair au gouvernement grec. La BCE juge que les négociations avec le nouveau gouvernement grec ne vont pas dans la bonne direction", estime Céline Antonin.
Ce sont les banques grecques qui risquent le plus de souffrir de ce coup de semonce de l’institution monétaire. "Elle était leur principale source de financement", note l’économiste de l’OFCE. Cette fermeture du robinet européen ne va pas non plus rassurer tous ceux qui détiennent des comptes dans ces établissements. Depuis la victoire du parti de gauche radicale Syriza aux élections législatives grecques du 25 janvier, environ 13 milliards d’euros ont quitté les coffres des banques hellènes. Pour autant, elles ne feront pas faillite du jour au lendemain, après le 11 février.
Il existe encore d’autres sources de financement. Elles peuvent toujours emprunter à court terme sur les marchés financiers. Mais uniquement à hauteur de 15 milliards d’euros. Cependant, la principale solution passe toujours par la BCE, bien qu'indirectement, grâce à l’ELA (Emergency Liquidity Assistance). Ce programme d’urgence permet aux institutions financières d’emprunter des fonds à leur banque centrale nationale qui, elle, empruntera à la BCE.
Ainsi, l’institution européenne s’est déclarée prête, jeudi 5 février, à accorder jusqu'à 60 milliards d’euros de prêts d’urgence à Athènes via ce système. En fixant un cadre très généreux à ce mécanisme ELA, l’un des derniers ballons d’oxygène pour Athènes, la BCE s'assure que le système bancaire grec ne sera pas à sec dans les semaines à venir tout en lui ayant envoyé un signal politique.
La BCE "ne veut certainement pas prendre la responsabilité de pousser la Grèce hors de l'euro" en asséchant toutes les sources de financement, expliquait à l'AFP Dario Perkins, économiste chez Lombard Street Research.
Athènes au pied du mur de Francfort
Grâce à ce tour de passe-passe, les banques grecques pourront-elles continuer à fonctionner comme si de rien n’était ? Pas tout à fait. Les taux d’intérêt appliqué aux prêts du programme d’urgence sont sensiblement plus élevés que ceux pratiqués par la BCE. En outre, l’ELA est réservé à des structures qui ont des problèmes de liquidité et non de solvabilité, comme c’est le cas des établissements grecs. Donc "théoriquement, ces prêts d’urgence ne devraient pas être disponibles pour les banques grecques", souligne Céline Antonin. Enfin, l’institution financière de Francfort peut tout aussi bien décider de couper aussi le robinet à la banque centrale grecque. Une façon pour la BCE de prouver qu’elle a le pouvoir de forcer le gouvernement grec à négocier.
Au final, c’est donc une décision aussi politique qu’économique qu’a prise l’institution européenne. Syriza espérait avoir jusqu’au 28 février - date officielle de la fin du deuxième plan de sauvetage de la Grèce - pour peaufiner ses propositions et tenter de rallier davantage de pays à sa cause anti-austérité. En attendant, le Premier ministre Alexis Tsipras et son ministre des Finances, Yanis Varoufakis, ont multiplié les déclarations hostiles à la Troïka (Banque centrale européenne, Union européenne et FMI), plutôt conciliante avec les opposants à toute réduction de la dette grecque.
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"La Banque centrale européenne veut que Syriza dissipe rapidement toutes ces ambigüités autour de ses intentions", conclut Céline Antonin. En clair, Mario Draghi, patron de la BCE, vient de raccourcir le délai et met Athènes au pied du mur de Francfort. Alexis Tsipras acceptera-t-il de négocier avec la Troïka ou voudra-t-il passer par la Commission européenne et les États directement ? Quelles sont précisément les propositions du gouvernement grec pour renégocier les termes du remboursement de sa dette ?
Ce n’est probablement pas un hasard si Mario Draghi a pris cette décision brutale la veille de la très attendue rencontre entre le ministre grec des Finances Yanis Varoufakis et de son homologue allemand Wolfgang Schäuble. L’émissaire d’Athènes a eu beau arborer son style décontracté habituel, l’entretien n’en était pas moins tendu.
À l’issue de cette rencontre à Berlin, Yanis Varoufakis et Wolfgang Schäuble ont fait le constat, jeudi, de leur désaccord sur de nombreux points. Aucune solution n'a été trouvée concernant la volonté d'Athènes de renégocier sa dette et d'alléger la politique de rigueur imposée par ses créanciers.
"Nous ne sommes pas encore vraiment d'accord sur ce que nous devons faire maintenant", a reconnu Wolfgang Schäuble, mais "nous sommes tombés d'accord pour ne pas être d'accord", a-t-il ajouté en anglais. Pas pour Yanis Varoufakis : "Nous ne sommes même pas tombés d'accord sur le fait de ne pas être d'accord", a-t-il surenchéri.
Avec AFP