![Alexis Tsipras, Premier ministre "sans cravate" qui défie Bruxelles Alexis Tsipras, Premier ministre "sans cravate" qui défie Bruxelles](/data/posts/2022/07/20/1658293000_Alexis-Tsipras-Premier-ministre-sans-cravate-qui-defie-Bruxelles.jpg)
Alexis Tsipras, le leader de la gauche radicale grecque et chef de file des anti-austérité, est nommé Premier ministre à 40 ans. Portrait de cet homme, biberonné au militantisme politique, qui ose défier Bruxelles.
Il est à la fois l'homme qui fait trembler les banques et le héros des laissés-pour-compte. Alexis Tsipras, patron du parti anti-austérité Syriza vainqueur des élections législatives dimanche en Grèce, a été nommé lundi 26 janvier Premier ministre par le président de la République Carolos Papoulias.
Il devient, à 40 ans, le plus jeune homme politique grec à occuper cette fonction depuis 150 ans. Une charge d’autant plus lourde à porter que Tsipras endosse désormais la responsabilité de mener un pays qui, grande première au sein de l’Union européenne, a exprimé par les urnes son hostilité aux politiques d'austérité voulues par l'UE et le Fonds monétaire international (FMI).
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"La Grèce laisse derrière elle une austérité catastrophique, elle laisse derrière elle la peur et l'autoritarisme, elle laisse derrière elle cinq années d'humiliation et d'angoisse", a affirmé Alexis Tsipras devant plusieurs milliers de ses supporters réunis à Athènes, dimanche soir.
À "l’humiliation et à l’angoisse", justement, Tsipras entend répliquer par l’espoir et le redressement. Pour cela, le leader de Syriza devrait s’appliquer à mettre en œuvre son programme anti-néolibéral, que Bruxelles critique avec virulence. Pour relever son pays à genoux, il souhaite en effet renégocier l’étalement du paiement de la dette et lancer un grand plan pour la croissance.
Dans son viseur, en premier lieu : le Mémorandum. Cet accord, passé entre le gouvernement grec et ses créanciers - l’UE et le FMI -, a imposé à la Grèce de réduire ses dépenses en échange d’un prêt de 130 milliards d’euros. "Catastrophe sociale", "crise humanitaire" et "politique barbare"... Tsipras n’a pas eu de mots assez durs pour désigner cette cure d'austérité infligée à son pays. Désormais, le leader de Syriza a les mains libres pour donner la marche à suivre.
Un candidat "normal"
Comment cet homme, encore inconnu il y a deux ans, est parvenu à rallier les foules à sa cause tout en terrorisant les argentiers européens ? D'abord parce qu'aux yeux du peuple, Alexis Tsipras incarne la rue, celle qui manifeste contre l’austérité. Dès qu’il l’a pu, il a battu le pavé avec les "Indignés" ou les syndicats. Le candidat sans cravate est, ni plus ni moins, "normal". Son physique est commun : les cheveux bruns sont courts et légèrement gominés, l’allure sportive et le sourire timide. Ses passions, on ne peut plus classique : il circule à moto et comme des milliers d’autres compatriotes, il adore le football. Et c’est peut-être cela qui plaît : les Grecs le voient comme l’un des leurs.
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Autre point fort : il n'appartient pas à une dynastie politique comme le Pasok (parti socialiste grec) sait les cultiver. Son père n’était pas dans la politique mais entrepreneur en bâtiment. C’est d’ailleurs dans l’entreprise familiale qu’il commence à travailler après des études d’ingénieur. Né quatre jours après la chute de la dictature des colonels en juillet 1974, il grandit dans une famille de la classe moyenne, où l’on débat politique. À 17 ans, il intègre le KKE, le parti communiste grec.
Le jeune Alexis ne quittera plus la famille de la gauche. Sa constance politique rejoint sa constance affective : il rencontre Peristera, sa discrète compagne et la mère de son fils de 2 ans, sur les bancs du lycée où ils distribuaient des tracts ensemble. En 1990, ses talents de leader se profilent lorsqu’il organise les manifestations lycéennes et négocie avec le ministre de l’Éducation.
Malgré un visage toujours juvénile, il fourbit là ses premières armes politiques. En 2004, il rejoint le comité central de Syriza et prend les rênes du parti radical de gauche en 2008, devenant le plus jeune leader à la tête d’une formation politique dans un pays gérontocratique. Il y réussit l’exploit de contenir les différentes voix qui s’affrontent au sein de la coalition turbulente. Tsipras imprime sa marque.
En 2009, juste avant que Georges Papandréou, le Premier ministre d’alors, annonce publiquement au monde que la Grèce est en faillite, Syriza obtient un score de 4,6 % et 13 députés, lors des élections législatives.
Un manque de carrure internationale
Le spectre de la colossale dette grecque va ensuite radicalement changer la donne. Le marasme économique dans lequel se trouve la Grèce offre une tribune inespérée pour Alexis Tsipras qui dénonce inlassablement les politiques d’austérité imposées par l’UE. En moins de cinq ans, Syriza quadruple son score. Deuxième aux législatives de 2012, derrière la Nouvelle Démocratie d'Antonis Samaras (droite), le parti arrive en tête des élections européennes du printemps dernier.
C’est surtout lors de ce scrutin européen que Tsipras prend conscience de son potentiel. Pourquoi ne pas aller encore plus loin ? Pour cela, il lui faut pallier certains défauts : son manque de carrure internationale et ses lacunes en anglais. Le futur Premier ministre ne parle qu’une langue, le grec. Il compense grâce à ses talents oratoires. Il multiplie aussi les sorties officielles et affine son image de leader. Il s’affiche avec le chef de la Banque centrale européenne Mario Draghi, avec le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble, défenseur de la discipline budgétaire qu'il abhorre, ou encore avec le pape François.
Le leader de Syriza se fait également connaître grâce à ses critiques acerbes contre les dirigeants européens, Angela Merkel, évidemment, mais aussi François Hollande, un socialiste à l’encontre duquel il a décoché quelques flèches. "Il a fait naître beaucoup d’espoirs, pas uniquement en Grèce mais chez tous les progressistes européens qui espéraient qu’il devienne un contrepoids à l’Allemagne de la chancelière allemande. Mais il n’a pas été à la hauteur ", avait-il déclaré en début d’année.
Depuis le palais Maximou, où siège le Premier ministre grec, Tsipras devra désormais faire ses preuves. Sera-t-il rétif aux compromis des marchés européens, ou va-t-il rosir son programme ? "Si vous ne m'avez jamais vu porter une cravate jusqu'ici, il y a peu de chance que ça arrive", a-t-il confié samedi aux journalistes. Une réponse qui en dit autant sur son intransigeance vestimentaire que sur son inflexibilité politique.