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Selon plusieurs témoins de l'attaque de "Charlie Hebdo", les tueurs ont affirmé agir au nom d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), la franchise yéménite de la nébuleuse terroriste. Et l'un d'eux aurait suivi un entraînement militaire au Yémen.

Les tueurs qui ont frappé hier le journal satirique "Charlie Hebdo" à Paris, faisant 12 morts et 11 blessés, ont revendiqué leurs crimes à deux reprises. Une première fois, avant même de commettre l’irréparable, lorsqu’ils ont menacé la dessinatrice Coco pour la forcer à ouvrir la porte de l’immeuble, tout en "se revendiquant d’Al-Qaïda". Et une deuxième fois après le bain de sang. Les membres du commando auraient lancé à un témoin, cité par "20 Minutes", alors qu’ils abandonnaient leur véhicule dans le 19e arrondissement : "Vous direz aux médias que c’est Al-Qaïda au Yémen".

Sachant qu’aucune organisation terroriste n’a officiellement revendiqué ce crime au retentissement mondial, commis dans une capitale occidentale, dans quelle mesure faut-il donner du crédit à cette revendication et la piste d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), la franchise yéménite de la nébuleuse terroriste ?

Désigné cible prioritaire par le magazine d’Aqpa

Certains éléments permettent toutefois de se pencher sérieusement sur cette piste. Les caricatures du prophète Mahomet, dessinées au Danemark et publiées par "Charlie Hebdo" en 2006, sont un thème cher à Al-Qaïda, qui n’a eu de cesse de communiquer sur le sujet, note Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes à France 24. "Le journal satirique français a été désigné comme une cible par Ayman al-Zawahiri [bras droit et successeur d’Oussama Ben Laden à la tête de la nébuleuse, NDLR] en personne", rappelle-t-il.

En mai 2013, le rédacteur en chef de "Charlie Hebdo", Charb, assassiné mercredi avec ses collègues, avait également été désigné cible prioritaire par le magazine "Inspire", publié sur Internet en anglais et édité par Aqpa depuis 2010, sous la houlette d’Anwar Al-Awlaki (tué depuis par les drones américains). La tête du caricaturiste français était mise à prix avec la mention suivante : "Recherché mort ou vif pour crimes contre l’islam". Sur un avis de recherche calquée sur les "Wanted" du far-west, la photo de Charb était placée à côté de celles de Geert Wilders, député néerlandais islamophobe, et de Lars Vilks, un dessinateur suédois qui avait représenté en 2007 le prophète de l’islam en chien.

#France des comptes pro #AlQaeda diffuse ce montage / ce n'est pas une revendication officielle pr autant #Paris pic.twitter.com/uYf6JlyCKv

— Wassim Nasr (@SimNasr) 8 Janvier 2015

Toujours en 2013, le magazine, qui demande régulièrement aux volontaires du monde entier de "défendre le prophète Mahomet", appelait "des dizaines de Mohammed Merah" à "attaquer Paris".

Une attaque préparée

Outre les instructions d'"Inspire", le modus operandi de l’attentat du 7 janvier pose également question. Il a été mené par des hommes qui ont suivi un entraînement militaire, selon les images diffusées. Et selon un responsable américain cité par "The New York Times", Saïd Kouachi, un des deux suspects activement recherchés après l'attentat contre "Charlie Hebdo", s'est rendu en 2011 au Yémen pour s'entraîner au maniement des armes auprès d'un membre d'Al-Qaïda. Il y aurait passé plusieurs mois, en compagnie de nombreux jeunes musulmans venus d'Occident à l'instigation du prédicateur américano-yéménite Anwar al-Awlaki, figure de proue d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique.

Des hommes qui ont été capables de tuer de sang-froid, de se replier et d’échapper aux policiers tout en manipulant avec précision des armes de guerre de type Kalachnikov. Il n’y avait pas de place pour l’improvisation. Leur mode opératoire, la précision de leur cible, ne correspondent pas à l’injonction de l’organisation de l’État Islamique (EI), qui a publié à plusieurs reprises des encouragements à tuer des Occidentaux, et des "sales Français", par tous moyens, même avec des cailloux.

>> À lire sur France 24 : Attentat contre "Charlie Hebdo" : qui sont les deux suspects ?

Toutefois, s’il indique qu’en général, les exécutants qui agissent au nom d’Al-Qaïda préparent méticuleusement ce type d’attaque, Wassim Nasr rappelle qu’on ne peut pour l’instant exclure aucune piste. "Car l'EI a lui aussi désigné la France comme une cible légitime, et des islamistes radicaux isolés pourraient très bien avoir imaginé se venger des caricatures et de 'Charlie Hebdo'."

Quitte à se réclamer d’un groupe ou d’un autre. "En outre, cette opération pourrait éventuellement être récupérée et revendiquée après coup par Al-Qaïda, comme ce fût le cas après l’attentat contre le marathon de Boston en 2013", ajoute Wassim Nasr. Interrogé sur la piste yéménite, le spécialiste rappelle que, précisément, l’une des caractéristiques connues d’Aqpa est de chercher à frapper des objectifs au cœur même de l’Occident, quand l’EI se concentre sur la consolidation de son califat. "C’est pourquoi les Américains sont focalisés sur le Yémen depuis années", décrypte-t-il.

Pour le moment, il n’existe aucune information claire et définitive sur l’évolution idéologique des frères Kouachi, les suspects activement recherchés par la police. Reste à savoir s’ils ont agi de leur propre initiative au nom d’Aqpa, ou sur ordre du groupe.