Après le sanglant attentat qui a fait 12 morts à Paris au siège du journal "Charlie Hebdo", près de 100 000 personnes se sont rassemblées un peu partout en France. À Paris, la population a rendu hommage aux victimes place de la République.
Plusieurs milliers de personnes réunies place de la République, des jeunes qui montent sur son monument pour s’installer aux côtés des allégories de Liberté, Égalité et Fraternité : l’image est belle et rappelle des scènes de joie comme en a déjà connu cette place par le passé. Et pourtant, ce mercredi 7 janvier, c’est bien un jour de deuil que vit la place de la République. Après l’attaque menée au siège du journal "Charlie Hebdo" qui a fait 12 morts en fin de matinée, des milliers de Parisiens ont tenu à se rassembler pour témoigner de leur refus de la barbarie.
"C’est bien, je suis agréablement surpris, c’est impressionnant de voir autant de monde, reconnaît Louis, un retraité de 66 ans arrivé sur la place dès 14 h. Je n’étais pas toujours d’accord avec les positions prises par 'Charlie Hebdo'. C’était parfois très drôle, parfois impertinent, et parfois ils disaient de grosses conneries, mais leur existence est importante et il est absolument fondamental que le prochain numéro sorte la semaine prochaine. Si ce n’était pas le cas, ce serait donner satisfaction aux terroristes."
Parmi les premiers arrivés sur la place, plusieurs dizaines d’étudiants, dont certains aspirants journalistes. Ils tiennent une banderole sur laquelle est écrit "Étudiants journalistes solidaires". Ils se tiennent là, debout, en silence, le regard triste. Parmi eux, Hadrian, 20 ans : "'Charlie Hebdo', ça représente la liberté d’expression et si nous sommes rassemblés, c’est pour défendre cette valeur universelle, explique-t-il. On ne peut pas, en France, admettre qu’il se passe de telles choses. La presse doit rester libre."
"C’est la liberté d’expression qui a été abattue"
Comme lui et ses camarades étudiants, les représentants de la profession sont venus en masse pour rendre hommage à Charb, Cabu, Wolinski, Tignous et les autres membres de "Charlie Hebdo" tués dans la journée. Certains brandissent leur carte de presse, d’autres un stylo. "Nous avions envie d’être entre nous car on est tous journalistes et on est donc tous concernés, dit Safia Allag-Moriss, du Syndicat national des journalistes (SNJ), le sanglot dans la voix et les larmes aux yeux. Mais pour autant, ce n’est pas un rassemblement corporatiste. Ce qui s’est passé, c’est une attaque contre la France entière et contre ce qu’elle représente. C’est la liberté d’expression qui a été abattue."
Et, de fait, les milliers de personnes présentes ce mercredi soir, alors que la nuit tombe et que le thermomètre affiche quelques degrés à peine, sont venus d’horizons divers. Étudiants, salariés tout juste sortis du travail, élus, retraités, hommes, femmes, la foule ne fait qu’un.
Pendant longtemps, la place de la République est restée silencieuse, laissant la parole aux pancartes. "Je suis Charlie", peut-on lire sur la plupart d’entre elles. D’autres manifestants tiennent des "unes" de l’hebdomadaire satirique, rappelant la variété des sujets traités et caricaturés. Aucun débat de société, aucune religion n’échappe aux crayons des dessinateurs de "Charlie Hebdo".
"Debout les stylos"
Peu après 18 h, Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), prend la parole devant le monument à la République et s’adresse au mégaphone à la foule. "Il faut résister à l’autocensure, lance-t-il. Il est intolérable que, partout dans le monde, des forces obscurantistes tentent d’arrêter les crayons des dessinateurs. Il faut respecter la liberté d’expression, ce droit que 'Charlie Hebdo' a défendu et que nous continuerons à défendre. Il en va de notre liberté à tous."
Bougies à la main, les milliers de manifestants finissent par rompre le silence pour scander "Liberté d’expression !", "Debout les stylos !" ou "Même pas peur !". Au milieu des gens, une petite femme de 69 ans, seule, semble perdue. Elle porte un foulard vert, est musulmane et n’accepte pas que de tels actes puissent être commis sous couvert de religion. "Je me sens concernée car je suis avant tout une citoyenne française et je suis choquée que ce crime ait été fait au nom de l’islam, se désole Sadia. Ce soir je suis blessée, la France est un pays d’accueil et d’amour, où on est libre de dire ce qu’on veut. Ces gens n’ont rien à voir avec l’islam, ce sont des bandits. À cause d’eux, les musulmans vont être stigmatisés, c’est malheureux."
Le risque de voir se multiplier les amalgames est grand, en effet, et plusieurs personnes présentes place de la République mettent en garde. Les effets néfastes de cette attaque terroriste et les récupérations politiques à venir sont déjà dans toutes les têtes.
"J’espère que la société française va rester soudée, affirme Line, une professeure d’anglais à la retraite. Ce type d’événement peut diviser la société et, malheureusement, les premiers en danger, ce sont les musulmans. Le Front national n’aura pas besoin de faire quoi que ce soit. Il lui suffit d’attendre et de tirer profit du climat actuel qui est tout sauf bon." Elle aussi tient une pancarte : "Liberté d’expression, non à la connerie" est-il écrit.