Deux anciens tortionnaires algériens présumés vont être jugés devant une cour d'assises française pour actes de torture durant la guerre civile en Algérie. "Un procès emblématique", pour les organisations de défense des droits de l’Homme.
C’est le dernier chapitre d’une décennie de procédure judiciaire. Mardi 6 janvier, une juge d'instruction a ordonné le renvoi devant la cour d'assises du Gard, dans le sud de la France, de deux ex-miliciens algériens accusés d'avoir commis des actes de torture durant la guerre civile en Algérie dans les années 1990.
Pour la première fois, des Algériens vont ainsi être jugés pour des crimes commis dans leur pays durant les "années noires". "C’est un procès emblématique car il s’agira du premier. Il n’y en a pas eu d’autre", se félicite, sur France 24, Patrick Baudouin, président d'honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH), l’une des organisations constituées parties civiles dans cette affaire.
Hocine et Abdelkader Mohamed, deux frères résidant en France, avaient été mis en examen en mars 2004 à Nîmes pour "tortures et actes de barbarie", pour des faits commis selon l'accusation dans la région de Relizane, à 300 km à l'ouest d'Alger, dans les années 1990, alors qu’ils étaient à la tête d’une milice. Une information judiciaire avait été ouverte en 2003 après le dépôt d'une plainte par la FIDH et la Ligue des droits de l'Homme (LDH) au nom de sept victimes.
"Dossier sensible politiquement"
"Ce genre de dossier est objectivement complexe à monter, indique à France 24 l'avocate Clémence Bectarte, du groupe d'action judiciaire de la FIDH. D’autant qu’avant janvier 2012, la France ne disposait pas encore d’un pôle judiciaire spécialisé dans les crimes ‘internationaux’. Et puis, il faut dire que le dossier est sensible politiquement".
La tenue de ce procès en France sera d'autant plus importante que l'Algérie a adopté en 2005 une charte pour la paix et la réconciliation nationale qui interdit d'évoquer publiquement la guerre civile qui a déchiré le pays. "Une véritable chape de plomb pour les victimes et les organisations de défense des droits de l’Homme", observe Clémence Bectarte.
Dans ce contexte, toute démarche judiciaire visant à établir les responsabilités des crimes commis durant cette période est impossible en Algérie, ce qui explique le fait que les victimes se soient tournées vers la justice française.
En vertu de la Convention internationale contre la torture adoptée en 1984 et intégrée dans le code pénal en 1994, les autorités françaises ont en effet pour obligation de poursuivre, arrêter ou juger toute personne se trouvant sur le territoire susceptible d'avoir commis des actes de torture, quel que soit l'endroit où ils ont été commis et la nationalité des victimes.
"Cette procédure en France, c’est une façon d’envoyer un signe positif aux familles des victimes et leur dire que l’impunité n’est pas absolue", commente Patrick Baudoin, qui représente dans cette affaire sept victimes des tortionnaires présumés.
"Des milliers de disparus dans toute l’Algérie"
Dans les années 1990, l'Algérie a vécu une guerre civile particulièrement violente opposant les services de sécurité, les milices armées par l'État et des groupes islamistes armés. Ce conflit a fait quelque 200 000 morts, selon les estimations officielles.
"Les exécutions sommaires, les meurtres, les actes de torture, les viols, les enlèvements et les disparitions étaient devenus pratique courante des différentes parties au conflit et ont été perpétrés dans l’impunité la plus totale", rappelle la FIDH.
"Les fait, il faut le rappeler, sont graves, insiste son président d’honneur. Encouragées par le pouvoir, des milices, au nom de la lutte contre les terroristes islamistes, se sont livrés à des enlèvements. Il ne s’agit pas de nier l’existence des terroristes mais, en réalité, certaines personnes pourchassées étaient issues de familles qui n’avaient rien à voir avec les agissements des islamistes. Ces personnes ont été enlevées, victimes de torture et d’acte de barbarie."
Hocine et Abdelkader Mohamed sont ainsi accusé d’avoir dirigé l’un des groupes de "légitime défense" mis en place avec la bénédiction des autorités. Dans la région de Relizane, on parle de 200 civils qui auraient été victimes de ces milices entre 1994 et 1997. "A l’échelle de l’Algérie, on évoque des milliers de disparus pour lesquels ni la vérité ni la justice ne sont passées", souligne Patrick Baudoin.
Les accusés encourent une peine de 10 années d’emprisonnement. La tenue de leur procès ne devrait pas intervenir avant la fin de l’année 2015.
Avec AFP et Reuters