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Les États-Unis ouvrent le robinet des exportations de pétrole

Les producteurs américains pourront, à partir de 2015, exporter du pétrole ultraléger pour la première fois depuis 1973. Un cadeau au lobby pétrolier qui souhaite l’abrogation d’un vieil embargo censé garantir l’indépendance énergétique américaine.

Les producteurs pétroliers américains en ont rêvé, Barack Obama l’a fait… ou presque. Le département du Commerce américain a décidé en catimini, le 31 décembre, de vider en partie de sa substance un embargo vieux de 40 ans sur les exportations américaines de pétrole brut.

L’OPEP et les autres pays producteurs vont donc voir arriver sur le marché, à partir d’août 2015, de l’or noir "made in USA". Washington n’a, cependant, pas encore ouvert en grand les portes aux exportations de pétrole. Pour l’heure, il ne s’agit que de condensat, c’est-à-dire du pétrole ultraléger très peu raffiné. Le brut de brut continue à être soumis à l’embargo décidé en 1973, suite au premier choc pétrolier. Une mesure censée protéger le sacro-saint automobiliste américain des caprices de l’OPEP.

Intense lobbying des pétroliers américains

Mais les producteurs américains espèrent que la décision du 31 décembre préfigure une mise à mort en bonne et due forme de cette vieille règle qu’ils jugent anachronique. La Maison Blanche est soumise "à un intense lobbying des acteurs nationaux pour pouvoir exporter leur pétrole", note Thomas Porcher, professeur à l’ESG Management school et spécialiste de l’énergie. Pour les partisans de la fin de l’embargo, la question de sa pertinence ne se pose même pas : "le marché mondial du pétrole actuel n’a rien à voir avec celui des années 1970 et 1980", souligne Keith Kohl, un spécialiste américain du secteur et auteur du blog "Energy & Capital".

Le principal changement du paysage provient des États-Unis. "Le développement massif du pétrole non-conventionnel [pétrole de schiste, NDLR] à partir de 2006 a permis aux Américains de devenir les premiers producteurs mondial de brut en 2014", rappelle Thomas Porcher. Les producteurs américains en ont profité pour augmenter leurs exportations de gasoil et de diesel qui sont, elles, autorisées. "Les États-Unis sont ainsi devenus les premiers exportateurs mondiaux de produits pétroliers raffinés", rappelle Blake Clayton, expert en énergie pour le Council on Foreign Relations, un think-tank politique américain.

Les acteurs américains du secteur veulent dorénavant prendre d’assaut le marché mondial du brut. Cela devient d’autant plus urgent que la chute continue des prix du baril - une baisse de 50 % depuis juillet 2014 - leur fait davantage de mal qu’à d’autres pays comme l’Arabie saoudite. Le pétrole non-conventionnel américain est, en effet, plus cher à exploiter que celui extrait dans les pays du Golfe qui peuvent, donc, davantage supporter des prix bas.

Et l’indépendance énergétique ?

Exporter pourrait rapporter aux producteurs américains des recettes supplémentaires plus que bienvenues. Surtout que le baril de pétrole se négocie environ trois dollars de plus sur le marché mondial qu’aux États-Unis. "Cela pourrait générer 15 milliards de dollars en plus par an", estime Blake Clayton.

Mais un déluge d’or noir américain sur le marché mondial ne risque-t-il pas de faire chuter encore plus les prix ? Après tout, la situation actuelle provient, en partie, d’une offre de pétrole trop abondante par rapport à la demande. L’entorse à l’embargo américain pourrait entraîner la mise sur le marché de près d’un million de barils de condensat américain par jour d’ici la fin de l’année, d’après Ed Morse, analyste pour la banque Citigroup, interrogé par l’agence Reuters.

Thomas Porcher ne croit pas, lui, à un effet sur le cours du brut. La nouvelle donne américaine ne va pas changer grand chose, d’après ce spécialiste. "Il va y avoir un effet de substitution car ce que les Américains vont exporter d’un côté, ils vont devoir l’importer de l’autre", explique-t-il. Malgré leur position de premier producteur mondial, les États-Unis ne sont, en effet, pas en situation d’excédent : "ils produisent 11 millions de barils par jour et en consomment 18 millions", note Thomas Porcher.

Pour cet économiste français, la décision de l’administration américaine peut paraître surprenante. "L’embargo de 1973 et la politique de développement du gaz et du pétrole non-conventionnel visaient à rendre les États-Unis énergétiquement indépendants", rappelle-t-il. Le cadeau de fin d’année de Barack Obama aux producteurs américains de pétrole est, en ce sens, un renoncement à cet objectif. "C’est probablement pour cela que cette évolution a été annoncée en toute fin d’année", souligne Thomas Porcher.