De l’exposition "Zizi sexuel" en passant par le "Tree" de McCarthy, une poignée d’œuvres artistiques ont subi durant l’année 2014 les foudres d’une communauté de spectateurs qui ont jugé ces créations "scandaleuses" ou contraires à la morale.
Ce fut une année bien compliquée pour le monde de l’art. En 2014, parmi la multitude d’expositions culturelles proposées, comme chaque année, en France, un nombre non négligeable de projets artistiques ont suscité l’ire d’une partie du public qui s’est autoproclamée, pour l’occasion, gardienne des bonnes mœurs et a tenté par divers moyens d’empêcher leur présentation ou leur diffusion.
Dans les polémiques les plus retentissantes, on retiendra l’exposition "Zizi sexuel", qui avait bénéficié d’un bon accueil lors de ses précédentes éditions. En 2014 pourtant, elle a été la cible des critiques d’une poignée d’associations outrées par cette présentation "décomplexée" et "explicite" de la sexualité des enfants. À la même période, le fameux "Tree" de l’Américain Paul McCarthy, exposé Place Vendôme, à Paris, a lui aussi réussi à choquer certaines âmes délicates. L’œuvre a été vandalisée et dégonflée dans la nuit du 17 ou 18 octobre, lors d’un moment d’inattention de l’agent de sécurité qui la gardait. Ses détracteurs s’indignaient de sa ressemblance trop flagrante avec un sex toy. Découragé par cette réaction, l’artiste n’a pas souhaité réinstaller son œuvre.
Ce n’est pas la première fois, en France, que des artistes sont attaqués pour des créations jugées trop libérales ou libertines. On se rappelle, entre autres, du procès intenté à Flaubert pour outrage "aux bonnes mœurs" à la sortie de "Madame Bovary", ou de celui intenté six mois plus tard à Baudelaire pour ses "Fleurs du mal", poèmes jugés contraires à l’éthique religieuse. Le Second Empire ne plaisantait pas avec la moralité. On pensait en revanche qu’au XXIème siècle, de telles craintes étaient révolues. L’année 2014 aura cependant prouvé le contraire.
Fronde puritaine
D’autres scandales, moins médiatisés mais tout aussi révélateurs de l’état d’esprit pudibond qui menace, n’ont pas épargné le monde artistique. Ce fut le cas pour l’exposition "Sade, attaquer le soleil" au Musée d’Orsay, qui a ouvert ses portes le 15 octobre. Ici, ce n’est pas tant le contenu de l’œuvre sadienne qui a été la cible d’attaques que la vidéo promotionnelle réalisée à la demande du musée. On y devine une sorte d’orgie où des dizaines de corps d’hommes et de femmes nus s’entrelacent, se griffent et se mordent. Mise en ligne le 8 octobre, la vidéo de 53 secondes a rencontré un succès viral et déclenché une polémique immédiate. Là encore, les esprits conservateurs se sont rapidement échauffés. Quatre jours après sa diffusion, et après de nombreuses plaintes, YouTube a interdit son accès aux mineurs. "Je comprends que la vidéo puisse heurter la sensibilité mais en même temps le sujet de l’exposition est sulfureux. Quand on va voir Sade, on ne s’attend pas à quelque chose de conventionnel", avait rétorqué, étonné, le musée.
La vidéo promotionnelle de l'exposition "Sade : attaquer le soleil"
Plus récemment, c’est le monde de la photographie qui a fait les frais de cette fronde puritaine. Il a suffi d’une pétition, signée par sept personnes, pour qu’une œuvre de Diane Ducruet, exposée durant le Mois de la photo à Paris, soit censurée. En cause, sa photographie "Mère/fille", où le visage d’une enfant est embrassé/dévoré par sa génitrice. L’objet du délit a été retiré avant même d’être montré au public. Pour l’artiste, ce ne sont pas tant les attaques de ses détracteurs qui la peinent – ces derniers l’accusent de faire l’apologie de l’inceste – que la résignation de son galeriste et du directeur de la Maison européenne de la photographie (MEP). "Je ne comprends toujours pas comment une galeriste et un responsable d’une institution censée promouvoir le travail des artistes ont pu […] sur la simple demande d’anonymes, et sans réellement connaître mon travail passé et présent, décider de décrocher une œuvre", déclarait ainsi la photographe à Rue89.
Alors que s’est-il donc passé, cette année, dans la patrie du libertinage ? "Une révolution conservatrice serait-elle en train de grignoter l’Hexagone ?", s’interrogeait d’ailleurs le journaliste Denis Michelis, dans l'émission culturelle "Metropolis" d'Arte. Il est peut-être temps de rappeler, à la veille de cette nouvelle année, qu’en matière de création, "une œuvre d’art n’est jamais immorale", ainsi que le défendait Raymond Poincaré.