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En immersion au sein de l’EI : "Un jour, ils vont vouloir conquérir l'Europe"

L'auteur allemand Jürgen Todenhöfer a passé 10 jours en Irak et en Syrie auprès des jihadistes de l'EI. Sur l'antenne de France 24, il livre un message alarmant sur la puissance et l'organisation du groupe.

"L'Occident sous-estime largement l'ampleur du danger que représente l'EI." C'est le premier enseignement que Jürgen Todenhöfer, auteur allemand âgé de 74 ans, a tiré de son immersion de 10 jours au sein de l'organisation de l'État islamique. Habitué des zones de guerre, il affirme être "le premier journaliste occidental" à avoir pu se rendre sur les territoires tenus par l’EI.

>> Pour voir l'entretien que Jürgen Todenhöfer a accordé à France 24, cliquez sur le lecteur vidéo.

Foulard sur la tête, barbe grisonnante, Jürgen Todenhöfer a filmé son voyage, qui l'a amené à Mossoul, en Irak, et à Raqqa, en Syrie, fief des jihadistes. Dans des extraits diffusés par CNN, on peut voir des membres de l'EI en armes l'accompagner dans les rues, lui expliquer comment ils ont pris la ville, lui présenter des enfants soldats et un prisonnier de guerre kurde.

Troupes déterminées et enthousiastes

L'ancien juge et député au Bundestag est rentré, le 16 décembre dernier, impressionné par ce qu'il avait vu. La détermination des combattants est telle que moins de 400 d'entre eux ont pu faire fuir 25 000 soldats irakiens et prendre Mossoul, raconte-t-il sur son site internet : "À côté, Al-Qaïda est un nain."

Jürgen Todenhöfer a pu également rencontrer de jeunes recrues et il a été marqué par leur "enthousiasme incroyable". "Ils sont tellement sûrs qu'ils vont s'emparer de cette terre, qu'ils vont prendre tout le Moyen-Orient, cette confiance est si forte qu'ils ont déjà pris un territoire qui est plus grand que le Royaume-Uni... Rendez-vous compte, au début de cette année, personne ne connaissait l'EI", explique-t-il dans une interview à la BBC.

À la télévision publique allemande, Todenhöfer a expliqué avoir contacté par Facebook ceux qui lui ont ensuite permis de se mêler aux jihadistes en Syrie et en Irak. "J'ai simplement essayé et ça a marché", déclare l'auteur, qui avait en 2012 obtenu une interview de Bachar el-Assad.

"Nettoyage religieux"

La chose qui a le plus dérangé Jürgen Todenhöfer est l'objectif final des jihadistes, qu'il qualifie de "plus grand 'nettoyage religieux' dans l'histoire du monde". L'EI veut éliminer tous les non-croyants et tous ceux qui suivent d'autres religions que celles du Livre.

Les musulmans qui vivent dans les pays démocratiques ne sont pas à épargner "car être démocratique, cela veut dire pour eux qu'on fait passer les lois des hommes avant les lois de Dieu", explique Jürgen Todenhöfer. Aux yeux de l’organisation, "tous les chiites, les yazidis, les hindous, les athéistes, les polythéistes doivent mourir", insiste-t-il.

>> À lire sur France 24 : "Pour se démarquer de l'EI, Al-Qaïda entrouvre la porte aux journalistes"

Mais les militants de l'EI qui rentrent dans leur pays d'origine ne sont selon lui "pas le principal danger". Vus comme des "perdants" par leurs camarades de combat, ils seraient bien moins susceptibles de mener des attaques terroristes que "les sympathisants de l'EI qui n'ont pas encore fait le voyage" jusqu'en Syrie.

Propagande et instrumentalisation

En dépit de son intérêt documentaire manifeste, le témoignage de Jürgen Todenhöfer soulève des questions, notamment sur les motivations des jihadistes qui ont ainsi laissé un homme occidental se mêler à eux, vivre leur quotidien puis rentrer chez lui à Munich.

Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po et spécialiste du monde arabe, a raillé sur son blog ce qu’il considère comme un scoop "mitonné" par l'EI-même. Car, selon lui, si Todenhöfer se veut inquiétant quant aux capacités du groupe terroriste, il véhicule aussi la propagande des jihadistes en parlant d'une certaine "normalité" qui règne à Mossoul et des services qu'assure l'EI, comme l'éducation.

Pour preuve de l'instrumentalisation de l'auteur, l'universitaire relève le tweet d'un porte-parole des jihadistes : on y voit Jürgen Todenhöfer à la rencontre de la population, le texte mettant dans sa bouche les propos suivants : "L'EI jouit d'une popularité énorme et conquerra le monde si elle le peut".

#Journalist #Todenhöfer after 10 days visit: #IS has enormous popularity & will conquer the whole world if it can pic.twitter.com/3LNz3vo7mq

— AbdulElah Shyea (@AbdulEla) December 21, 2014

Interrogé sur une possible instrumentalisation de son voyage, l'auteur allemand s'est défendu : "Je mets en garde contre l'immense danger de cette organisation (...) on ne peut pas dire que je me suis fait instrumentaliser".

Selon Jürgen Todenhöfer, sa démarche est totalement justifiée. "Je trouve cela important de parler avec les deux parties (dans un conflit) et je trouve cela important, quand on veut vaincre un ennemi, de le connaître."