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Esclaves de l'EI, des Yazidies racontent comment elles ont "échappé à l'enfer"

Dans un rapport publié mardi, Amnesty international s’est penché sur les sévices subis par des dizaines de femmes et fillettes yazidies, enlevées dans le nord de l’Irak par les jihadistes de l’EI. Toutes racontent l’enfer de leur asservissement.

En octobre 2014, la communauté internationale avait eu une première fois vent du sort réservé aux femmes yazidies, enlevées par les membres de l’organisation de l’État islamique (EI) dans le nord de l’Irak. Via leur magazine de propagande "Dabiq", les jihadistes avaient eux-mêmes reconnu et justifié l'esclavage de cette communauté, considérée comme diabolique.

Ce que l'on ignorait, c'étaient les détails de cet asservissement. Ils ont été révélés par Amnesty international, dans un rapport publié mardi 23 décembre. L'ONG s'est penchée sur le quotidien de ces esclaves détenues par les membres de l'EI. Entre septembre et novembre 2014, l'association a rencontré 42 Yazidies ayant réussi à s'échapper des camps jihadistes. La très grande majorité de ces victimes se sont enfuies seules, par leurs propres moyens. Les autres sont difficilement traçables, une fois enlevées, ces otages sont fréquemment déplacées, de camps en camps, entre l'Irak et la Syrie.

>> Pour lire le rapport d'Amnesty international, cliquez sur le lien

Beaucoup ont à peine 20 ans et racontent peu ou prou la même histoire, les mêmes violences : les sévices - sexuels souvent -, les passages à tabac, les "ventes" publiques aux plus offrants, les suicides des plus fragiles aussi. "Le prix psychologique et physique payé par les femmes victimes de violences sexuelles est exorbitant. La plupart d'entre elles ont été torturées et traitées comme du bétail ; même celles qui ont réussi à s’échapper restent profondément traumatisées", a déclaré Donatella Rovera, conseillère pendant les situations de crise chez Amnesty International.

Vidéo de Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes

"Elle savait qu'un homme viendrait l'acheter, elle a préféré se tuer"

Les jihadistes de l'EI "ont ruiné nos vies", a témoigné Randa, 16 ans, capturée avec sa famille et violée par un homme deux fois plus âgé. "C'est tellement douloureux ce qu'ils nous ont fait à moi et ma famille".

Luna, 20 ans, a évoqué la mort d’une de ses co-détenues, Jilan, âgée de 19 ans. Toutes deux étaient détenues à Mossoul. Jilan a préféré le suicide au viol. "Nous étions 21 filles. Deux d’entre nous avaient 10-12 ans. Un jour […] on nous a dit de nous laver […] Jilan s’est tuée dans la salle de bain. Elle s’est ouvert les veines puis s’est pendue. Elle était très belle. Je pense qu’elle savait qu’un homme viendrait l’acheter. Elle a préféré se tuer."

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Les plus jolies Yazidies se monnaient cher. Elles partent plus vite. "Plusieurs acheteurs potentiels sont venus. Heureusement, personne n’a voulu nous emmener [ma sœur et moi] parce que n’étions pas jolies et parce que nous n’arrêtions pas de pleurer en nous tenant l’une à l’autre [...]. Notre vendeur voulait se débarrasser de nous […]. Si nous n’avions pas décidé de nous enfuir, nous aurions fini par être mariées de force ou vendues à des hommes, comme tant d’autres filles", raconte une autre jeune rescapée.

La plupart des ravisseurs sont syriens et irakiens, et ont entre 20 et 30 ans, indiquent les victimes. Un témoignage évoque la présence de jihadistes australiens, d’origine libanaise, parmi les "acheteurs" de Yazidies. Une fois "mariées", ces esclaves se retrouvent rarement seules, elles cohabitent généralement avec les autres épouses des combattants, leurs enfants, leurs parents…

"Il a eu pitié de moi et de ma petite sœur"

C’est dans cette nouvelle "famille" que, parfois, une entraide s’installe. Certaines Yazidies indiquent qu'elles ont bénéficié de la compassion et de la pitié d’autres épouses. "On m’a mise dans une chambre avec l'une des femmes de mon ravisseur", explique une rescapée. "Elle venait aussi de Mossoul, elle était jeune et très gentille avec moi. Elle avait déjà deux enfants".

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Fait exceptionnel, un autre témoignage relate même l'histoire d'un combattant de l’organisation de l'État islamique ayant libéré une jeune Yazidie de 13 ans et sa petite sœur. "Il m’a ramenée chez lui et j’ai dormi dans une pièce avec l'une de ses femmes plus âgées pendant que lui dormait dans une autre pièce avec une de ses épouses plus jeunes. Son épouse plus âgée était très gentille. Il m’a dit qu’il m’avait achetée parce qu’il avait eu pitié de moi et de ma sœur et qu’il voulait nous rendre à mes parents. Ce qu'il a fait", raconte la fillette assurant que son ravisseur ne l’avait ni violentée, ni violée.

Depuis le début de son offensive dans le nord de l’Irak, à la mi-juin, l'EI a assassiné des centaines de membres de la minorité religieuse yazidie. Considérés comme des hérétiques parce qu'ils adorent une divinité associée au diable par les musulmans, des dizaines de milliers de Yazidis ont ainsi pris le chemin de l’exil, vers les monts Sinjar. En août dernier, plusieurs réfugiés avaient raconté à France 24 l'horreur qui a déferlé sur leurs villages lorsque les jihadistes sont arrivés.

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