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Essebsi, un vétéran à la tête de la Tunisie

Béji Caïd Essebsi a remporté la présidentielle tunisienne avec 55,68 % des suffrages selon les premières estimations officielles. Décrit comme "anti-islamiste", ses opposants lui reprochent d'incarner l'ancien régime. Portrait.

Béji Caïd Essebsi, alias BCE, a été annoncé vainqueur de la présidentielle tunisienne le 22 décembre 2014. Cet avocat de formation, dont le parti Nidaa Tounès a déjà remporté les élections législatives du 26 octobre dernier, devant les islamistes d’Ennahada, est revenu sur le devant de la scène après la révolution qui a renversé le président Zine El Abidine Ben Ali, le 14 janvier 2011. "Un candidat à la présidentielle ne se choisit pas à l’avance, il s’impose. BCE est devenu l’homme de la situation en créant un équilibre politique dans une période de transition instable", analyse Abdelhamid Larguèche, historien tunisien.

L’homme d’expérience 

Ce père de quatre enfants est né à Sidi Bou Saïd en 1926, alors que le pays est encore sous protectorat français. Un autre temps. Ses adversaires le critiquent pour son âge avancé, estimant qu’à 88 ans, il n'est pas représentatif de la révolution conduite par la jeunesse.

Mais BCE a su capitaliser sur son expérience. "Il rassure, il joue sur la figure du bon père de famille", explique Sophie Bessis, chercheure associée à l’IRIS. Paternaliste, il se présente comme garant de l’autorité de l’État : "J'aimerais le retour de l'État mais quel État ? Un État de droit dans lequel les citoyens et les citoyennes soient égaux devant la loi. Et un État juste pour que tout être humain y trouve ses droits, pas un État de favoritisme", déclarait-il récemment lors d’une conférence de presse. 
Nidaa Tounès, un parti qui prône un islam modéré
Souvent qualifié, à tort, de "laïc", son parti Nidaa Tounès ("L'Appel de la Tunisie") créé en 2012, se décrit plutôt comme "séculier". Béji Caïd Essebsi n’a eu de cesse de répéter que son parti "prône un islam modéré fondé sur une approche réformatrice éclairée, favorisant l’adéquation entre authenticité et ouverture, consacrant les valeurs de tolérance, de coexistence et de sagesse et bannissant la haine et la violence". Et d’ajouter : "L’islam de Nidaa Tounès n’est pas celui du mouvement Ennahda. Notre islam est tunisien". Une référence explicite à l’article 1er de la Constitution tunisienne de 1959, repris in extenso dans celle de 2014, qui définit la Tunisie comme "un État libre, indépendant et souverain, l'islam est sa religion".
Un disciple de Bourguiba
Connu pour mélanger vieux proverbes tunisiens et versets du Coran, Béji Caïd Essebsi sait parler aux Tunisiens et "se faire comprendre de tous", selon Abdelhamid Larguèche. Il se réclame de la pensée bourguibienne, du nom du "père de l'indépendance" tunisienne qu'il qualifie de "visionnaire" et "fondateur de l'État moderne".
Une stratégie payante : "Bourguiba reste une figure tutélaire en Tunisie", assure Sophie Bessis, également auteure d'une biographie de l’ancien président.  
Incarnation de l’ancien régime ?
Expérimenté certes, BCE a un passé politique qui joue toutefois contre lui. Il a servi comme ministre sous Habib Bourguiba et comme président du parlement sous Ben Ali. Son parti, Nidaa Tounès, a d’ailleurs attiré autant des hommes d'affaires, des intellectuels, des syndicalistes, que des proches de l'ancien régime.
S es détracteurs l’accusent donc d’incarner l’ancien régime et le retour à un ordre autoritaire. "N’est-ce pas lui qui a, au lendemain de son arrivée aux commandes du gouvernement provisoire de 2011, proclamé que les snipers de Ben Ali n’étaient 'qu'une rumeur' ? Qui a tout fait pour que les archives de la dictature disparaissent au plus vite ? (…) La nébuleuse Nidaa Tounès est l’expression politique de ces réseaux-là", ont écrit dans une tribune de "Libération" cinq militants et universitaires tunisiens.
BCE balaye ces critiques et jure de travailler dans le strict cadre de la Constitution adoptée en janvier et qui limite les prérogatives présidentielles, afin d'éviter un retour à la dictature.
Avec AFP