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Jihad : une mère attaque la France après le départ de son fils en Syrie

Un an après le départ de son fils pour la Syrie, la mère d’un jihadiste français de 16 ans attaque l’État pour avoir laissé son enfant mineur prendre seul l’avion pour la Turquie. Un voyage pourtant légal. Explications.

Malgré son âge – 15 ans au moment des faits – et sa destination – Ia Turquie –, il a passé sans encombre les contrôles de sécurité de l’aéroport international de Nice-Côte d’Azur, le 27 décembre 2013. Dylan*, 16 ans, se trouve depuis bientôt un an en Syrie. Selon David Thomson, journaliste à RFI et auteur du livre "Les Français jihadistes", il a rejoint le groupe d’Omar Omsen, recruteur de jihadistes français, qui se revendique du Front al-Nosra, branche officielle d’Al-Qaïda en Syrie.

Nadine D., la mère de ce jeune jihadiste français, a déposé une plainte devant le tribunal administratif de Paris, mi-novembre 2014. Elle reproche à la police aux frontières de n’avoir pas intercepté son fils, muni de sa seule carte d’identité, avant son embarquement pour faire le jihad. La mère de famille ne s’était pas inquiétée de la conversion de son fils à l’islam, un an plus tôt, et n’avait pas pris la mesure de sa radicalisation jusqu’à ce qu’il parte sans prévenir en Syrie, pour, a-t-il dit, "faire de l'humanitaire".

>> À lire sur France 24 : "Dépressif et issu d'une famille athée" : le profil type du jihadiste français

Nice-Istanbul, un vol légal pour un mineur français

"La loi autorise un mineur à partir en Turquie, réputée pour être un point de passage vers la Syrie, avec une carte d’identité, ce qui est aberrant", a expliqué la mère de famille au journal "Le Parisien". En effet, rien n’interdit à un mineur de quitter le territoire français et de se rendre en Turquie avec ce seul document. Le site "Conseils aux voyageurs" du ministère français des Affaires étrangères invite seulement les mineurs, "pour éviter tout problème d’entrée ou de sortie du territoire turc", à "être munis d’une autorisation de voyage établie sous seing privé par le(s) parent(s) et comportant une signature légalisée". Rien d’impératif, donc.

Sollicité par écrit il y a quelques semaines par la mère de famille, le ministère de l’Intérieur a balayé toute faute de la part des policiers. Il précise qu’en l’absence de signalement parental ou judiciaire concernant ce mineur, "les services de police à la frontière n’avaient aucune raison de l’empêcher de voyager". Mais selon Nadine D., "vu l’actualité, la police aux frontières aurait au moins dû s’inquiéter en voyant un mineur seul rejoindre cette destination. Le bon sens aurait voulu qu’on lui demande pourquoi il s’y rendait, s’il y avait des attaches familiales, et pourquoi il n’était pas accompagné", ajoute-t-elle.

Une question de principe

La plainte de Nadine D., une première en France, est en cours d’examen. Contactée par France 24, son avocate, Me Samia Maktouf, explique : "Ma cliente a décidé de sortir de son silence pour elle et pour les autres mamans qui sont dans sa situation. C’est un recours de principe. Un mineur est en danger parce qu’on l’a laissé prendre un vol pour la Turquie sans lui poser les questions d’usage. Il représente aussi un danger pour la France s'il décide de rentrer."

Si les autorisations de sortie du territoire pour les mineurs n’existent plus depuis le 1er janvier 2013, l’avocate estime que suffisamment de dispositions du droit permettent de prévenir le départ de jeunes mineurs français vers la Syrie. La magistrate compte notamment s’appuyer sur l’article R434-10 du code de la sécurité intérieure qui précise : "Le policier ou le gendarme fait, dans l’exercice de ses fonctions, preuve de discernement. Il tient compte en toutes circonstances de la nature des risques et menaces de chaque situation à laquelle il est confronté et des délais qu’il a pour agir, pour choisir la meilleure réponse légale à y apporter."

Nadine D. et son avocate demandent au tribunal administratif de Paris de condamner l’État à verser un total de 110 000 euros à la famille pour avoir failli à son obligation de protection des personnes. Pour Me Maktouf, "si le tribunal venait à nous donner gain de cause, cela créerait un précédent qui est attendu par les mamans".

Depuis maintenant trois semaines, Nadine D. n’a pas eu de nouvelles de son fils, indique son avocate. Lors de leur dernière conversation sur Skype, la mère de famille a entendu en fin d’appel son fils se faire rappeler à l’ordre par un homme "à l’accent parisien". Mais elle a choisi de prendre le risque de parler pour mettre fin au "silence macabre" d’autres familles dans sa situation, assure Me Maktouf.

* Son prénom a été changé