L’ingénieur américain d’origine allemande Ralph Baer est décédé, dimanche 6 décembre, à l’âge de 92 ans. Ce serial-inventeur est surtout connu pour avoir mis au point, en 1972, la toute première console de jeu vidéo : l’Odyssey.
Le jeu vidéo est orphelin. Ralph H. Baer, décédé dimanche 6 décembre à l’âge de 92 ans, est considéré comme étant à l’origine d’une industrie qui pèse aujourd’hui plus de 77 milliards d’euros au niveau mondial, d’après l’institut américain de recherche Gartner.
Si le nom de cet Américain est peu connu du grand public, sa création l’est (un peu) plus. Ralph H. Baer a, en effet, été l’inventeur de l’Odyssey, la toute première console de jeu vidéo vendue par le fabriquant de télévisions Magnavox en 1972.
Cette petite boîte noire est un ancêtre très fruste des Playstation (Sony), Xbox (Microsoft) et Wii U (Nintendo) actuelles. L’Odyssey de Magnavox ne permettait d’afficher que deux carrés, l’un pour chaque joueur, et un troisième qui représentait une balle. Atari a repris et perfectionné le concept avec son fameux Pong en 1975. Malgré ses limites techniques et le fait que Magnavox n’ait écoulé la console qu’à travers son réseau agréé de distributeurs, l’Odyssey s’est vendu à 130 000 exemplaires en un an. Un succès pour l’époque, qui préfigurait l’engouement à venir pour ces machines à jouer.
De la manucure aux jeux vidéo
Cette première réussite commerciale doit beaucoup à la personnalité hors du commun de Ralph Baer. Cet Américain d’origine allemande était, en effet, un accro aux inventions et son nom est associé à 150 brevets. Né en 1922, il émigre avec sa famille aux États-Unis en 1938. Il travaille d’abord dans une usine de fabrication de kits de manucure. À 17 ans, il invente une machine qui lui permet d’en confectionner jusqu’à six d’un coup.
En parallèle, Ralph Baer décide de se former par correspondance à l’électronique et deux ans plus tard, il devient réparateur de radio. Une spécialité qui lui permet, pendant la Deuxième Guerre mondiale, d’être affecté au service du renseignement. Déployé en Europe, ce jeune mordu d’électronique utilise son temps libre pour transformer des détecteurs allemands de mines en radio, raconte le "New York Times".
Après la guerre, il passe de la radio à la télévision. Ralph Baer devient même l’un des premiers ingénieurs en audiovisuel aux États-Unis. Six ans après la fin de la guerre, en 1951, il émet pour la première fois l’idée de créer un système pour jouer sur un téléviseur. Mais aucun de ses chefs de l’époque ne veut en entendre parler.
2 500 dollars plus tard
C’est finalement au sein de Sanders, un sous-traitant du secteur militaro-industriel, que sa lubie vidéoludique rencontre un écho favorable. À la fin des années 1960, l’un de ses supérieurs lui avance 2 500 dollars pour s’atteler à la construction d’une console de jeu. À condition que Ralph Baer ne délaisse pas pour autant ses travaux sur les systèmes intelligents de visée et d’autres projets d’ordre militaire.
Les mordus de la manette, les accros du "shoot’em up" et autre gamers doivent donc une fière chandelle à ce cadre anonyme de Sanders qui a misé 2 500 dollars sur un concept dont personne n’avait voulu jusqu’alors. À l’instar d’un Steve Jobs pour Apple ou d’un Bill Gates pour Windows, qui ont aussi lancé une révolution technologique avec très peu de moyens, Ralph Baer a, ensuite, tout fait pour commercialiser sa machine.
Mais la comparaison avec les deux maîtres du PC s’arrête là. Le jeu vidéo a rapidement échappé à Ralph Baer pour être récupéré par les Atari, Nintendo ou encore Sega. Au grand dam de l’ingénieur et de Magnavox. Mais ces pionniers du secteur ont largement rentabilisé leur invention. Grâce au brevet n°3 728 480, déposé en 1973 et opposé à Mattel, Atari, Nintendo, Sega et d’autres, la société américaine et l’ingénieur ont récupéré près de 100 millions de dollars.
Le paillasson parlant
Ralph Baer n’a pas passé le restant de ses jours à poursuivre en justice tous les constructeurs de consoles de jeu. Cet inventeur a encore mis au point le premier pistolet connecté à une console (qui est aussi l’ancêtre de tous les accessoires comme les volants connectés), et créé Simon, le célèbre jeu de mémoire qui se présente comme une sorte de soucoupe volante avec quatre touches colorées.
Il a aussi d’autres inventions à son actif qui n’ont pas connu le même destin que sa console de jeu vidéo. En 1995, il met au point un paillasson interactif qui permet d’enregistrer un message de bienvenue et deux ans plus tard, il lance le "TimeFrame", un cadre photo parlant.
L’Odyssey reste cependant sa grande gloire. Dans l’une de ses dernières interviews, en 2012, il reconnaît un seul regret à cet égard : que son idée, apporter un divertissement familial, ait autant "dégénéré en un passe-temps solitaire" où le joueur est face à son ordinateur ou son smartphone.