
L'importante communauté juive qui vit à Créteil est inquiète depuis l'agression à caractère antisémite dont a été victime un jeune couple, lundi. Reportage dans le quartier multiculturel du Port, où se sont déroulés les faits.
Le quartier du Port, à Créteil, ressemble à beaucoup d’autres de la banlieue parisienne. Des immeubles de 5 à 6 étages, aérés par des allées de verdures et des jeux pour enfants, des parkings de voitures au pied de chaque bâtiment. Des groupes de jeunes traînent en bas des immeubles ou circulent à scooter.
Ce quartier, comme l’ensemble de la ville de Créteil, abrite une importante communauté juive. Un habitant sur quatre serait de confession israélite. De nombreuses enseignes attestent de l’ancrage local de cette communauté : supermarché, boulangerie, boucherie casher... "On se croirait à Jérusalem", résume René Meghnagi. Ce retraité de 73 ans habite le quartier depuis bientôt cinq ans, avec son épouse. Il vient tout juste de boire un café au comptoir, avenue du Général Pierre Billotte. Il a salué son voisin musulman d’un "salam aleikoum" hérité de sa jeunesse en Tunisie. "J’ai trouvé la paix à Créteil", affirme-t-il.
Un quartier de "classe moyenne"
L’appartement de René est situé dans la rue où a été commise lundi la violente agression antisémite dont tout le monde parle. Mais il dit ne pas avoir peur. "Ce sont des racailles qui ont fait ça. Des voyous, il y en a dans toutes les communautés", assure-t-il. "Chez les non-juifs, ils croient qu’on a beaucoup d’argent. Mais ici, il y a un peu de gens riches, surtout des gens de la classe moyenne", explique le retraité. Selon le maire PS de Créteil, "40 à 50 %" des logements du quartier sont des logements sociaux. "On est typiquement dans un habitat de classes moyennes avec une bonne mixité. Les gens vivent ensemble. C’est un quartier d’employés, de fonctionnaires, plutôt agréable puisqu’il est situé sur les berges du lac", a expliqué Laurent Cathala à "Libération".
Esther, 36 ans, tient la caisse d’un supermarché casher non loin de là. "Créteil, c’est plus aussi bien qu’avant", lâche-t-elle d’emblée. "Je ne me sens plus du tout à l’aise ici, surtout tôt le matin à l’ouverture du magasin et le soir, quand il fait noir. Je fais du volontairement du bruit, je me crée une carapace car je ne veux pas qu’on sache que j’ai peur." Partir ? "Pour aller où ?", réplique-t-elle. Esther a passé dix ans en Israël, elle n’a "pas envie de repartir". "Je n’ai pas l’impression que l’État nous protège suffisamment", regrette-t-elle. Cette mère de famille a demandé à son mari de ne plus sortir avec sa kippa et n’ose plus envoyer son fils acheter une baguette en bas de chez elle.
"Les gens se tolèrent"
La barbe rousse fournie et une kippa sur la tête, Yossef affirme que "Créteil, jusqu’à maintenant c’était tranquille". "Je ne me suis jamais vraiment fait agresser même si j’ai déjà eu droit à un 'sale juif'", explique le jeune homme de 24 ans qui vient de terminer ses études. "Plusieurs communautés cohabitent ici. L’été, tout le monde se retrouve autour du lac. Ce qui se passe me fait de la peine." Yossef pense qu’il faudrait davantage de sécurité à Créteil et estime que c’est "l’éducation des jeunes de banlieue" qui pose problème. "Il faut que tous aillent à l’école et fassent des études, il faut plus de suivi", plaide-t-il.
Mohammed*, la trentaine, passe à côté. Il se désole également de l’agression survenue dans sa ville. Il affirme "connaître" le jeune juif agressé lundi. Lorsqu’on lui demande si les Cristoliens forment une famille, il préfère parler d’une ville dans laquelle "les gens se connaissent et se tolèrent".
Les habitants de Créteil rencontrés jeudi par France 24 ne se souviennent pas qu’une agression similaire à celle de lundi soit déjà arrivée dans leur ville. Selon eux, les agresseurs présumés, interpellés après avoir été repérés dans la commune limitrophe de Bonneuil-sur-Marne, ne venaient pas de Créteil.
Pour condamner l’agression de lundi, Albert Elharrar, président de la communauté juive de Créteil, a invité à un rassemblement citoyen, le 7 décembre. "Nous appelons les Cristoliens à venir se rassembler pour que la cohabitation entre communautés puisse perdurer dans cette ville multiconfessionnelle", a-t-il précisé. Juifs, chrétiens et musulmans de Créteil sont appelés à se retrouver dimanche sans bannières ni slogans sur l’esplanade des Abymes, au bord du lac, où tous aiment se retrouver pour les beaux jours.
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*Son prénom a été changé.