
La guérilla des Farc et le gouvernement colombien sont tombés d'accord mercredi pour reprendre les négociations de paix, suspendues après le bref enlèvement d'un général par la rébellion qui a fait craindre une rupture du dialogue.
Des représentants du gouvernement colombien et de la rébellion marxiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) sont tombés d'accord, mercredi 3 décembre, pour reprendre leurs pourparlers de paix dans une semaine à Cuba, où les négociations de paix ont lentement progressé depuis leur lancement en novembre 2012, avant d’être suspendues par Bogota il y a deux semaines.
Nous "considérons que la crise est surmontée et nous vous informons que nous avons décidé que le prochain cycle de pourparlers aurait lieu entre les 10 et 17 décembre prochains", ont annoncé les parties dans un communiqué.
Le président colombien Juan Manuel Santos avait suspendu les pourparlers après la capture du général Ruben Dario Alzate le 16 novembre, dans la province du Choco, sur la côte pacifique. Il exigeait, en échange de la reprise du dialogue, la libération du haut gradé de 55 ans et ainsi que celle de quatre autres otages, considérés par les rebelles comme des prisonniers de guerre.
itLe général Alzate, qui a été libéré le 30 novembre, a rapidement demandé sa mise en retraite. Il a reconnu, lors d'une conférence de presse, qu’il n’avait "pas appliqué les procédures de sécurité", en se rendant en civil et sans escorte dans une zone de conflit. Sa version des faits – il a indiqué qu’il avait agi de la sorte car il cherchait à gagner la confiance de la population locale – a été accueillie avec beaucoup de scepticisme par de nombreux Colombiens. Cette affaire a surtout semé la crainte dans l’esprit d’un nombre grandissant de citoyens qui soutiennent le processus de paix en discussion à Cuba.
"Cet évènement a eu l’effet d’une piqûre de rappel pour la société colombienne", explique Andrei Gomez-Suarez, spécialistes des questions politiques colombiennes, professeur à l’Université du Sussex, en Angleterre, et à l’Université Los Andes à Bogota. "Nombreux sont ceux qui, parmi les soutiens des pourparlers, pensaient que la conclusion d’un accord de paix était une affaire entérinée", poursuit-il. "Mais ils voient désormais que ce n’est pas le cas, et qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’y parvenir".
Avantage aux Farc ?
Ironiquement, l’enlèvement puis la libération du général a renforcé la crédibilité des Farc, un mouvement d'extrême gauche fondé dans les années 1960 dans la foulée d'une insurrection paysanne, qui au fil du temps s’est spécialisé dans le trafic de drogue, les enlèvements et l’extorsion de fonds destinés à financer sa lutte armée contre Bogota.
Selon Andrei Gomez-Suarez, la libération rapide de Ruben Dario Alzate, le plus haut gradé jamais capturé par la guérilla, a prouvé que les Farc étaient résolus à parvenir à un accord de paix, et qu’ils étaient prêts à donner la priorité à la politique aux dépens de la guérilla.
Les guérilleros marxistes pourraient avoir astucieusement exploité le rapt et la libération du général colombien pour faire pencher la balance des pouvoirs en terme de négociations de leur côté. Lors de sa conférence de presse, tenue le lendemain de sa libération, Ruben Dario Alzate a expliqué qu’il avait été forcé à participer à un "show médiatique", en allusion à une photographie, qui a fait le tour de la Toile, le montrant aux côtés d’un haut responsable des Farc.
Ce dernier, qui apparaît dans l’image publiée par la rébellion sur son compte Twitter sous le titre "La paix triomphera", est nul autre que Pastor Alape, un commandant des Farc qui participe aux discussions de La Havane et qui a lui-même remis le général à la mission menée sous l'égide du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Mais c’est surtout le fait que les responsables des Farc présents à Cuba soient parvenus à faire libérer en quelques jours le militaire qui est notable. "Cela prouve que la guérilla maintient un certain degré d’unité", décrypte le professeur Andrei Gomez-Suarez. "La chaîne de commandement est intacte, contrairement aux craintes exprimées par certains analystes au sujet de la fragmentation du groupe."
Depuis le début des négociations à Cuba, les experts avaient spéculé sur les chances de succès d’un processus de paix et son respect par des groupes isolés de guérilleros des Farc, qui sévissent dans des régions éloignées et tirant profit du trafic de drogue. Ces doutes ont été en partie levés.
Pas de cessez-le-feu
Les négociateurs présents à La Havane se sont accordés jusqu’ici sur trois points partiels, qui concernent le développement rural, la lutte contre le trafic de drogue et la participation de la guérilla à la vie politique après un accord global. La rébellion appelle désormais le gouvernement à revoir "les règles du jeu", jugeant que le président colombien avait "réagi avec précipitation en suspendant le dialogue de paix", sans attendre les résultats des démarches qui ont permis la libération du général Alzate.
De nombreux observateurs s’attendent à voir les Farc faire une nouvelle fois pression pour obtenir un cessez-le-feu bilatéral. Ce que Bogota rejette jusqu’ici, de peur de voir les rebelles – largement affaiblis ces dernières années – utiliser la trêve pour se réarmer.
Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste des questions latino-américaines à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (Iris) estime de son côté qu’un cessez-le-feu est inenvisageable. Principalement parce que les précédents pourparlers, préalablement conditionnés par un cessez-le-feu, ont tous échoué.
L'opinion publique divisée sur le processus de paix
Toujours est-il que d'autres facteurs menacent le processus, selon Jean-Jacques Kourliandsky. Notamment les acteurs qui s’opposent fermement aux pourparlers de paix, comme l’ancien président colombien Alvaro Uribe, toujours aussi influent, et ses alliés politiques. Avec ces derniers, il a essayé de convaincre les Colombiens que les Farc se sont enhardis à cause de la complaisance coupable de l’administration Santos, et sont en train de profiter du répit offert par les négociations pour se renforcer.
L’opinion publique colombienne, juge Jean-Jacques Kourliandsky, reste divisée sur la question de savoir s’il faut ou non négocier avec les Farc, et le message anti-guérilla martelé par Uribe a touché une large audience.
Un avis que partage Andrei Gomez-Suarez. "Dans le passé, il a suffit d’un évènement inattendu pour faire dérailler le processus et le détruire. Les négociations actuelles ne sont pas à l’abri et nul doute qu’elles devront elles aussi faire face à des crises occasionnelles. Les Colombiens qui croient en ces négociations sont en train de réaliser qu’ils doivent se tenir prêts à défendre le processus de paix en toutes circonstances."