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Pékin s'apprête à mettre fin au plus vieux monople d'État du monde

En 2016, l’État chinois n’aura plus le monopole sur le commerce du sel sur son territoire. Une évolution anecdotique ? Pas forcément : le pouvoir central contrôlait ce secteur depuis 2133 ans.

Le sel ne sera bientôt plus une affaire d’État en Chine. Pékin a discrètement annoncé, en fin de semaine dernière, la fin de ce monopole étatique, le plus vieux du monde, pour 2016. Les multiples dynasties et régimes qui se sont succédé ont tous gardé un étroit contrôle sur ce lucratif commerce pendant 2133 ans.

"Symboliquement, c’est une page de l’histoire de la Chine qui tourne, mais économiquement c’est plus anecdotique", souligne Jean-François Dufour, président du cabinet de conseil Chine-Analyse. Pour lui, cette décision prouve surtout que Pékin ne voit plus dans le sel un secteur stratégique.

La police du sel n'a plus de raison d'être

Ce marché n’en demeure pas moins important aux yeux du régime. En 2013, Taobao - l’Amazon chinois - avait fait, sur demande des autorités, un vaste ménage pour éradiquer la contrebande de sel sur son site. Le pays avait même une police spéciale pour combattre le marché noir de cette denrée. Au début des années 2000, cette force comptait près de 25 000 agents.

Le poids du sel dans l’économie chinoise est incarné par la China Salt. Le mastodonte public, emploie quelques 50 000 personnes et sa mainmise sur ce secteur lui aurait permis de générer 1,7 milliards d'euros de bénéfices en 2011, d'après le magazine "Week in China".  "Cela n’a pas dû être facile de lui faire accepter ce changement, ce qui peut expliquer pourquoi la décision a mis autant de temps à tomber", estime Jean-François Dufour. Car depuis l’avènement de la réfrigération, à la fin du XIXe siècle, qui conserve mieux les aliments que le sel, ce monopole d’État a beaucoup moins de sens.

Le sel faiseur d’empereur

Mais lorsque les autorités décident, en 119 avant JC, de nationaliser ce secteur, le sel était considéré comme une denrée vitale. Peu après l’unification de la Chine (222 avant JC), l’empereur Han Wudi constate que les producteurs de sel étaient plus riches que son empire. Il décide alors d’en faire un monopole de l’État.

À plusieurs reprises durant l’histoire chinoise "les taxes décidées sur le sel se sont révélées être le seul moyen efficace de lever de l’argent en urgence", raconte Dorothy Perkins dans son "Encyclopédie de l’histoire de la Chine". Le sel a sauvé plus d’une fois les dirigeants chinois. Cette ressource s’est aussi révélée très précieuse pour financer l’expansionnisme chinois puisque son commerce constituait l’une des principales sources de revenus de l’État.

Premier producteur mondial

Mais le sel a aussi contribué à défaire des dynasties. Le règne des Tang a ainsi commencé à se disloquer sous l’effet d’une jacquerie menée par deux riches contrebandiers de sel à la fin du IXe siècle. L’un d’eux, Huang Chao, réussit même à créer son propre État dont il s’autoproclame empereur. Le sel mène alors vraiment à tout.

Comme les empereurs, le Parti communiste a mis la production de sel sous coupe réglée à partir de 1949. La Chine en devient même le premier producteur mondial, devant les États-Unis, avec environ 80 millions de tonnes par an.

C’est donc un marché conséquent qui va s’ouvrir aux acteurs privés. Une aubaine pour certains producteurs étrangers ? Pas forcément. Le sel de Guérande ne s’invitera pas de sitôt sur les tables chinoises, estime Jean-François Dufour. Selon lui, "la China Salt restera l’acteur dominant du marché, et seuls certains grands groupes chinois qui cherchent à se diversifier devraient pouvoir entrer sur ce secteur".