
Le ministère de la Justice français veut poursuivre les entreprises qui refusent, depuis mardi, d’entreprendre de nouvelles écoutes judiciaires. Ces dernières ne veulent plus pallier aux retards de Thalès, officiellement sous contrat.
Il n’y a plus personne au bout du fil des écoutes judiciaires. Les quatre sociétés privées - Foretec, Midi System, SGME et Elektron - qui les mettaient jusqu’à présent en place refusent, depuis mardi 25 novembre, d’en organiser de nouvelles pour protester contre l'incertitude de leur situation financière depuis l'attribution de la réalisation d'un nouveau centre géant d'écoutes à Thalès. Une protestation plus qu’inconfortable pour la police et inacceptable pour le ministère de la Justice.
Ce dernier menace de poursuites ces entreprises pour les forcer à "fournir les prestations pour lesquelles elles ont été [payées]", a déclaré, mardi, Pierre Rancé, porte-parole du ministère. "Force doit rester à la loi : les poursuites seront systématiquement entamées, pour un délit punissable d'une contravention de 2e classe de 750 euros par réquisition non effectuée”, ajoute-t-il.
“Ce n’est pas une surprise. C’est la seule réponse dont est capable le ministère, mais cela ne fait que nous conforter dans notre action et ne nous poussera nullement à reprendre les écoutes”, explique Thierry Pugnet, président de Foretec, l’une des quatre sociétés visées par le ministère, à France 24.
Victimes ou maîtres chanteurs ?
Ce blocage organisé ne concerne que les nouvelles demandes. "Toutes les procédures en cours continuent à être traitées”, assure Hélène Girard, dirigeante de Midi System et de la SGME, deux autres acteurs privés des écoutes judiciaires.
Reste que leur coup de force, fermement condamné par le ministère de la Justice, leur donne, en apparence, le mauvais rôle. Une société comme Foretec reçoit environ 50 nouvelles demandes de mises sur écoute par jour. C’est dire si la décision de ne pas y répondre a un impact sur les enquêtes en cours et peut représenter une aubaine pour d’éventuels suspects repérés par la police.
Ces professionnels refusent d’être assimilés à de simples maîtres chanteurs et rappellent qu’ils n'en sont pas arrivés là par hasard. “Cela fait des mois que nous demandons aux autorités de trouver une solution pour un accompagnement des plus favorables possibles vers notre sortie [du secteur des écoutes judiciaires, ndlr]”, souligne Hélène Girard.
En attendant Thalès
La situation a, en effet, commencé à s’envenimer depuis la décision en 2010 d’attribuer la construction et l’exploitation de la plate-forme nationale d’interceptions judiciaires (PNIJ) à Thalès. Ce super centre d’écoutes téléphoniques, qui doit priver à terme les quatre entreprises de travail, accumule les retards et n’est toujours pas fonctionnel fin 2014. Il devait être mis en route en 2013.
L’arrivée du mastodonte Thalès sur leur pré-carré ne fait pas les affaires des quatre mousquetaires des écoutes judiciaires. Ces entreprises contestent, d’ailleurs, en justice les conditions d’attribution de ce marché public. Elles avaient toutes été écartées d’office de l’appel d’offres par les autorités françaises au profit de multinationales cotées en bourse comme Atos, Cap Gemini ou Thalès.
Mais, pour eux, la question n’est même plus là. Ces sociétés veulent désormais “sortir de l’incertitude, du manque de visibilité”, affirme Hélène Girard. “Depuis le début des négociations, le ministère de la Justice affirme comprendre notre situation, et assure qu’une solution va être trouvée, mais les autorités ne font que temporiser et ne nous donne aucune réponse”, précise Thierry Pugnet. Le dernier courrier adressé aux quatre entreprises par le ministère de la Justice - et que France 24 a pu consulter - se contente, en effet, de promettre de nouvelles “négociations dans les semaines à venir”.
Les frondeurs des écoutes judiciaires ont jugé cette offre insuffisante. “Sans visibilité sur ce qui va se passer, les banques refusent de nous suivre et il est hors de question que nous nous autofinancions”, explique Hélène Girard qui assure, de son point de vue, que c’est “la Chancellerie qui nous prend en otage” en maintenant le flou autour de l’avenir des écoutes judiciaires.