
Au Maroc, les thèses de l'islam radical rencontrent un écho particulier dans les milieux défavorisés. Pour contrer l'augmentation du nombre de candidats au jihad, les autorités de Rabat durcissent le ton. Reportage.
C'est au cœur de Melilla, enclave espagnole imbriquée dans le nord du Maroc, qu'un chef présumé de recrutement de jihadistes pour l'organisation de l'État islamique a été arrêté fin septembre. Le long de cette frontière hautement surveillée, les trafics en tout genre sont monnaie courante. Vêtements, alcool de contrebande et drogues… le commerce illégal alimente en partie les départs à la guerre sainte. La collaboration entre les autorités espagnoles et marocaines a permis l'arrestation de huit autres combattants islamistes présumés à Nador, côté marocain.
Un phénomène relativement nouveau dans l'enclave, selon les responsables politiques. "Nous vivons dans une zone frontalière où il existe une importante poche de pauvreté, surtout au sein d'une partie de la population musulmane qui représente, si l'on peut dire, un terreau pour les thèses jihadistes", explique Hassan Moktar, député et porte-parole du parti la Coalition pour Melilla.
Absence de culture religieuse
C'est principalement depuis les quartiers populaires des villes du nord du pays que près de 1 700 Marocains seraient partis combattre en Syrie et en Irak. Mais, pour certains, la pauvreté et le manque de perspectives ne sont pas les seules raisons qui les ont poussés à tout quitter pour le jihad…
Khalid Salai est écrivain et contributeur pour le site d'information Sadanews. Il s'est penché sur les causes du phénomène des départs pour le jihad, alimenté par la propagande sur Internet. Selon lui, la popularité de ces vidéos est liée à l'absence totale de culture religieuse. "L'éducation religieuse qui est proposée au Maroc n'est pas suffisante pour enseigner à notre jeunesse les bonnes valeurs de l'islam, telles que nous les connaissons, cet islam qui est imprégné des textes du Coran et de la conduite du Prophète. Des valeurs qui ne sont pas celles qui sont dictées par ces chefs religieux autoproclamés", commente le journaliste.
Pour contrer la propagande jihadiste qui promet le paradis aux martyrs, les associations se mobilisent. À Béni Makada, quartier pauvre à l'entrée de Tanger, on a misé sur la formation professionnelle pour favoriser l'insertion des jeunes. Sortir de la délinquance et échapper à la tentation du départ, c'est l'objectif de l'association Chiffae.
Pour son coordinateur, Ammar Mlahi, la crise en Europe et le durcissement de la politique migratoire sont autant de facteurs favorisant le départ pour le jihad. "C'est un phénomène récent parce qu’avant l'immigration était la solution, indique-t-il. Mais puisque les portes sont fermées, les jeunes ont compris que l'avenir n'est pas en Espagne. Et puis avec le retour de nombreux jeunes revenus de cette expérience douloureuse, ils ont compris que la solution, ce n'est pas l'immigration, mais peut-être le départ en Syrie."
"Je ne sais pas comment ils ont réussi à me convaincre"
L'absence de perspectives, l'endoctrinement et la promesse de 60 euros par jour une fois sur place, ont failli convaincre Abdel, 18 ans, de partir pour le jihad. "J'avais rencontré des gens à la mosquée que je fréquentais. Ils m'ont fait tourner la tête, ils avaient des arguments, je ne sais même pas comment ils ont réussi à me convaincre, à tel point que j'ai abandonné l'idée d'aller travailler au port, témoigne-t-il sous couvert d’anonymat. Ils me disaient que la vie en Espagne ne valait plus la peine, maintenant qu'il y a la crise, ils m'ont dit qu'en Syrie c'était mieux. J'étais sur le point de partir quand j'ai appris que des gens rentrés de Syrie étaient au bord de la folie, et que d'autres, qui veulent rentrer, sont toujours coincés là-bas."
"Personne ne se cache pour parler de ça, on en parle comme si on parlait d'un match de foot, ou de la vie de tous les jours, rapporte pour sa part Ali. Bref, ils sont venus me voir mais j'ai refusé de me laisser embrigader… Parce que moi je les ai croisés à Béni Makada, je les ai vus en train de vendre de la drogue et d'agresser les gens. Alors que tout ça, c'est tout le contraire de l'islam."
L'islam radical, Rida Benothman l'a côtoyé pendant ses cinq années de prison. Condamné pour apologie du terrorisme, ce militant des droits de l'Homme a toujours clamé son innocence. Selon lui, la politique anti-terroriste menée après les attentats de Casablanca en 2003 n'est pas allée dans le bon sens… "Il y a une grosse part de responsabilité des pouvoirs publics, qui ont laissé se propager la littérature wahhabite dans certaines régions défavorisées. Les autorités étaient au courant, le savaient, il y avait des échanges culturels, des livres qui rentraient, des conférences qui étaient données. C'est donc une idéologie qui s'est répandue et qui a eu le temps de mûrir et de créer ces phénomènes", analyse-t-il.
Depuis la création de l'organisation de l'État islamique, le Maroc a durci le ton et révisé sa législation anti-terroriste. Désormais, les candidats marocains ou étrangers au jihad encourent jusqu'à 15 ans de prison ferme.