
La mort de l'activiste pro-Trump Charlie Kirk a mis sous le feu des projecteurs médiatique le suprémaciste Nick Fuentes et son "armée de groypers" qui avaient érigé Charlie Kirk en ennemi politique. © Studio graphique France Médias Monde
C’est l’un des principaux points d’interrogation qui subsistent après le meurtre de l’influenceur "MAGA" Charlie Kirk, mercredi 10 septembre. Quelles étaient les motivations du suspect Tyler Robinson, qui refuse de parler ?
Pour la droite, et surtout le camp du président des États-Unis, tout est de la faute des "gauchistes radicaux et lunatiques” qui auraient inspiré le suspect. Spencer Cox, le gouverneur républicain de l’Utah, où a été interpellé Tyler Robinson, a assuré dimanche que ce dernier adhérait à des "idées de gauche” sans donner davantage de précision. Donald Trump dénonce, quant à lui, depuis le jour du meurtre le "terrorisme d’extrême gauche”.
Suprémaciste "connexion"
Mais sur les réseaux sociaux, c'est Nicholas "Nick" Fuentes, figure suprémaciste et antisémite influente, qui s'est empressé de nier toute implication dans l'assassinat de Charlie Kirk. "Les médias traditionnels tentent de faire de mes sympathisants et de moi les responsables de la mort de Charlie Kirk. C’est ridicule et ils n’ont aucune preuve", s’est emporté Nick Fuentes sur X, samedi 13 septembre.
Cet Américain est l’une des voix suprémacistes et antisémites les plus influentes aux États-Unis. Un sympathisant de cet extrémiste de droite aurait abattu une autre personnalité influente très à droite, et souvent accusée de tenir des propos extrémistes ?
L’hypothèse peut surprendre, mais plusieurs médias ont relevé des éléments qui pourraient lier Tyler Robinson à une sous-culture sur internet, baptisée les "groypers", du nom d'une communauté internet liée à l'ultra-droite et férue de mèmes, que Nick Fuentes désigne souvent comme le terreau culturel de "son armée".
Sur les forums 4Chan, où les "groypers" sont très actifs, certains ont d’ailleurs adoubé Tyler Robinson comme l’un des leurs. "C’est confirmé : il est "groypers". Nick (Fuentes) est tellement foutu que c’est surréaliste", assure l’un des participants à un fil de discussion où l’hypothèse des liens entre Tyler Robinson et les groypers est débattu.
En réalité, rien n'est confirmé et les “indices” existant “prouvent seulement qu’il était influencé par des références culturelles et des mèmes utilisés en ligne par les 'groypers', mais pas seulement”, explique Matthew Feldman, spécialiste des mouvements fascistes et néonazis, et chercheur associé à l’université de Liverpool Hope.
La principale "preuve" sont "les douilles [appartenant à Tyler Robinson, NDLR] et la boîte qui les contenait, sur lesquelles il y avait des inscriptions et des mèmes qui sont issus d’une culture ‘gamer’ [joueurs de jeux vidéo] dont se revendiquent aussi les ‘groypers’", détaille Marc Tuters, spécialiste du complotisme et du populisme en ligne à l’université d’Amsterdam.
Les références en question pourraient, de prime abord, laisser penser à une idéologie plutôt progressiste. La boîte à cartouche était en effet ornée des inscriptions "Hé fasciste ! Attrape ça !" ou encore "Bella ciao", nom d’une célèbre chanson entonnée par les résistants au nazisme et fascisme durant la Seconde Guerre mondiale.
Pas assez "nationaliste ethnique"
Mais passé par la moulinettes à mèmes, ces références ont dorénavant des affiliations politiques beaucoup moins évidentes. La première est issue d’un jeu vidéo - Helldivers 2 -, et la phrase est reprise par des gamers de tout bord politique. La chanson "Bella Ciao", utilisée dans la très populaire série télévisée "Casa de Papel", se retrouve aussi sur des listes de chansons sur Spotify pour "groypers", soulignent les rédacteurs de la newsletter Garbage Day dans un article intitulé "Charlie Kirk a été tué par un mème".
Les "groypers" et Nick Fuentes avaient aussi une autre raison d’être : s’opposer à Charlie Kirk. "Cette sous-culture a pris son essor en 2019 en tant qu’antagoniste direct de Charlie Kirk et de son discours", assure Marc Tuters.
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Réessayer
"En France, par exemple, il n’y a pas vraiment d’atome crochu entre Marine Le Pen et Éric Zemmour. C’est un peu l’équivalent, toute proportion gardée, de la relation entre Nick Fuentes et ses sympathisants d’un côté, et Charlie Kirk de l’autre", explique Matthew Feldman.
La principale différence entre ces deux factions d’extrême droite est que "Charlie Kirk peut être qualifié de nationaliste civique, tandis que Nick Fuentes incarne le nationaliste ethnique", précise cet expert. C’est-à-dire que le premier pouvait apparaître sur scène avec une personne afro-américaine à partir du moment où elle disait soutenir l’agenda trumpiste, ce qui est inenvisageable pour des "groypers".
Pour les "groypers", ce qui est compte "c’est une esthétique commune [les mèmes] et une détestation des mêmes personnages", assure Anthony Burton, spécialiste des communautés en ligne et de l'extrémisme à l’université d’Amsterdam. Même si le suprémacisme n’est jamais très loin.
"Sur les cendres de l'alt-right"
Autrement dit, on peut tomber dans la marmite du "groypisme" sans pour autant être extrémiste à l'origine. "C’est ce qui fait leur attrait : on peut les trouver tout simplement amusants avec leurs mèmes, et très actifs, ce qui peut donner envie de les rejoindre. Et puis, au fur et à mesure, on se retrouve exposé à l’idéologie radicale présente sous la surface des messages", explique Matthew Feldman.
Les "groypers" n’ont pas non plus toujours été les fils spirituels de Nick Fuentes. "C’est l’une des mouvances nées des cendres de l’alt-right", souligne Anthony Burton. Ce mouvement très actif au début du premier mandat de Donald Trump et représentant des extrémistes plus connectés que la génération précédente n’a pas survécu quand la plupart des "influenceurs" de l’alt-right comme Milo Yiannopoulos ont été interdits de Twitter ou YouTube à la fin des années 2010.
Les "groypers" ont cherché à reprendre une partie du flambeau en s’appropriant des marqueurs visuels de l’alt-right comme Pepe The Frog, la grenouille verte déclinée en multiples mèmes jusqu’à l’écœurement durant le premier mandat de Donald Trump.
Ils ont aussi repris un certain positionnement politique. "L’alt-right se définissait en partie par rapport à l’alt-lite [extrême droite "light"], au même titre que les groypers se définissent par rapport aux trumpistes trop peu à droite à leurs yeux", explique Marc Tuters.
Et Nick Fuentes a su capitaliser sur ce positionnement. "Il organise ses propres réunions politiques annuelles baptisées America First Political Action Conference en parallèle des rassemblements du Turning Point USA de Charlie Kirk", souligne Marc Tuters. Il a réussi à y faire venir des pointures du mouvement "MAGA", telles que Marjorie Taylor-Greene, tout en montrant à "son armée" de groypers qu’il était l’un des leurs.
Il leur a aussi offert un moyen de s’opposer à Charlie Kirk au-delà des forums internet. "Il leur disait d’aller se rendre aux différents débats que Charlie Kirk organisait sur les campus pour lui poser des questions les plus embarrassantes possibles", explique Matthew Feldman.
Ainsi, par exemple, à un débat organisé en 2019 sur un campus de l’Ohio pour lequel Charlie Kirk avait réussi à faire venir un activiste conservateur noir et homosexuel, des militants groypers ont multiplié des questions gênantes, telles que "Comment le sexe anal peut-il nous aider dans la guerre culturelle [contre les libéraux]".
Avec la mort de Charlie Kirk, les "groypers" et Nick Fuentes perdent l’une de leur raison d’être. Et "rien de concret ne prouve que le suspect avait un lien avec cette sous-culture", tiennent à rappeler les experts interrogés par France 24. Mais Nick Fuentes a su saisir l’occasion pour se poser en victime dans cette affaire. Quitte à énerver certaines des voix les plus écoutées dans le camp trumpiste, comme l’influenceuse Candace Owens qui l’a enjoint à "la fermer et à arrêter d’essayer de profiter de la mort de Charlie Kirk".