Plus de 200 cours d'eau de l'Alaska ont pris une couleur rouille, révèle une étude de l'agence météorologique et océanique américaine. Un phénomène de plus en plus fréquent dans cette région reculée, lié au dérèglement climatique et à la fonte du permafrost.
Un affluent de la rivière Kugururok, en Alaska, est devenu orange sous l'effet de la fonte du permafrost. © Josh Koch, U.S. Geological Survey
Si l'image est jolie, elle cache en réalité un possible désastre pour l'environnement et illustre l'un des effets néfastes du dérèglement climatique. En Alaska, l'eau de plus de 200 ruisseaux et rivières s'est teintée d'une couleur orange rouille, révèle l'agence météorologique et océanique américaine (Noaa) dans un décompte annuel.
En cause, la fonte du permafrost – ou pergélisol – provoquée par le dérèglement climatique. Alors que cette région arctique du Grand Nord américain se réchauffe déjà quatre fois plus vite que le reste du monde, elle a connu en 2025 son année la plus chaude jamais enregistrée. Avec la hausse des températures, ces sols en théorie perpétuellement gelés fondent de plus en plus vite. Et ils libèrent, en même temps, des composants piégés depuis des milliers d'années.
Oxydation dorée
Mais comment expliquer que cette eau cristalline prenne cette teinte orange ? L'explication tient dans la composition des sols arctiques. Ces derniers contiennent en effet d'importantes quantités de carbone organique, de nutriments, de mercure ou encore de métaux et minerais. Parmi eux : la pyrite, un disulfure de fer, à l'apparence dorée, expliquent les scientifiques de la Noaa.
Lorsque le permafrost fond, l'eau peut donc se retrouver en contact avec les minerais qui y étaient piégés. Se produisent alors diverses réactions chimiques, notamment de l'oxydation. Et pour faire simple, l'altération de la pyrite donne cette couleur rouille en libérant notamment des ions ferreux.
Autrement dit, des sédiments chargés de fer qui se sont oxydés et ont pris cette couleur rouille. Ces eaux souterraines remontent ensuite progressivement vers les eaux de surface, transformant le bleu cristallin en orange.
Un phénomène qui s'accentue
En réalité, ce phénomène n'est pas nouveau et remonte à une dizaine d'années. Mais alors que le réchauffement climatique s'accélère, il semble s'accentuer, alertent les chercheurs, qui ont ainsi relevé 200 cours d'eau concernés en 2025 contre quelques rares cas en 2018.
"L’augmentation brutale du nombre de rivières rouillées et l’ampleur spatiale de ces observations suggèrent que le climat régional et le dégel des sols sont les principaux facteurs de l’émergence de ces eaux décolorées", insistent-ils.
"Nous sommes allés dans cette région en 2017 et tout allait bien. Il y avait des poissons et tout un tas d'invertébrés. Nous sommes revenus un an plus tard, en 2018, et toute la rivière était devenue orange", témoignait ainsi en 2024 Mike Carey, spécialiste de l'Arctique à l'Institut d'études géologiques des États-Unis.
"Au départ, nous avons pensé que c'était une anomalie, un cas unique. Mais année après année, nous avons réalisé que ce n'était pas qu'un phénomène exceptionnel. De plus en plus de cours d'eau étaient touchés."
En 2024, l'expert a ainsi participé à une vaste étude de terrain visant à comprendre ce phénomène et ses conséquences sur l'environnement. Avec une équipe de scientifiques, ils ont procédé à des prélèvements dans 75 rivières d'Alaska pour comparer celles aux eaux "normales" et celles devenues orange.
Le constat était sans appel : les cours d'eau orangés présentaient un pH bien plus faible, signe d'un excès d'acidité. Les analyses chimiques révélaient quant à elles une teneur accrue en fer importante mais aussi la présence de zinc, de nickel, de cuivre ou encore de cadmium. Par exemple, les concentrations de zinc et de nickel étaient respectivement 16 et 43 fois plus élevées dans les tronçons affectés.
Alerte pour l'eau potable
Des niveaux, alertaient-ils, qui dépassent largement les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé fixées pour la potabilité de l’eau. Ces rivières orange représentent des "menaces directes" pour "l’accès à l’eau potable dans les zones isolées de l’Alaska rurale", abonde la Noaa dans son nouveau rapport.
À cela s'ajoutent de nombreuses craintes pour l'environnement et les écosystèmes de la région. En parallèle des relevés, "nous avons remarqué que toutes les espèces de poissons et d'invertébrés, que nous avions vues en nombre en 2017, avaient été quasi décimées", poursuit Mike Carey.
C'est ainsi tout l'écosystème qui se trouve perturbé. L'eau, acide et toxique, tue les insectes et autres organismes présents et privent les saumons et autres poissons de leurs ressources alimentaires. Une situation d'autant plus inquiétante que les habitants de la région dépendent largement de la pêche pour se nourrir.
"La mobilisation des métaux pourrait favoriser le déclin de populations de poissons comme l’omble chevalier, le saumon kéta et les corégones", listent les scientifiques.
Ces derniers craignent désormais de voir le phénomène continuer de s'étendre et venir toucher des cours d'eau plus importants comme le fleuve Yukon. Cela menacerait en effet l'industrie du saumon en Alaska, qui représente un marché de 541 millions de dollars (535 millions d'euros), relève le New York Times. Ce "problème environnemental émergent" doit vite faire l’objet de "recherches scientifiques supplémentaires", conclue la Noaa.
