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Centenaire 14-18 : le nom de ma famille est inscrit sur l'Anneau de la Mémoire

Ce 11 novembre a été inauguré le mémorial de Notre-Dame-de-Lorette où sont inscrits les noms de soldats tombés durant la Grande Guerre, sans distinction de nationalité. L'un d'entre eux est mon arrière-grand-oncle, Joseph Trouillard.

En ce 11-Novembre, jour anniversaire de l’armistice de 1918, j'assiste à l'inauguration de l'Anneau de la Mémoire sur le site de Notre-Dame-de-Lorette, près d’Arras (nord de la France).

Mon regard de journaliste ne s’attarde pas sur la tribune officielle. Alors que le président François Hollande prononce son discours, je ne peux m’empêcher de fixer le mémorial international, fraîchement inauguré. Un gigantesque anneau de métal, sur lequel est inscrit mon nom. Plus précisément, celui de mon arrière-grand-oncle : le caporal Joseph Trouillard. Comme 579 605 autres soldats qui figurent sur ce monument, sans distinction de nationalité, il a été fauché en pleine jeunesse sur cette terre du nord de la France.

Joseph Trouillard est mort à seulement cinq kilomètres du Mémorial, de l’autre côté de l’autoroute, un jour de septembre 1915. Né à Surzur, un petit village du golfe du Morbihan, ce jeune cultivateur breton effectue son service militaire lorsqu’éclate la guerre, en août 1914. Il est alors enrôlé dans le 31e bataillon de chasseurs à pied (BCP). Je n’ai pas de photographie de lui en uniforme ni en tenue civile, mais sur son registre militaire, je lis la description que l'administration fait de lui : il avait les cheveux châtains, les yeux marron, le visage rond et mesurait 1m63.

Ecrasés sous un déluge d’obus

Avec ses frères d’armes, le chasseur est projeté sans transition dans l'enfer de la Première Guerre mondiale. Il combat tout d’abord dans les Vosges, puis dans la Marne, avant d’atterrir dans les Flandres. Au début de l’année 1915, son bataillon est ensuite envoyé près de Notre-Dame-de-Lorette. Pendant des mois, les soldats multiplient les assauts, tentent de gagner quelques mètres de terrain à l’ennemi. Chaque jour est un supplice, chaque nuit un calvaire. L’historique du 31e bataillon des chasseurs à pied décrit la lutte que livrent quotidiennement les poilus "dans les fils de fer et les boyaux, à la mitrailleuse, qui étend net des compagnies entières, à la grenade, parfois même au couteau, écrasés constamment sous un déluge d’obus, de bombes et de torpilles". Les vivants côtoient alors "les morts qui, partout, montrent leur côtes décharnées, agitent hors des parapets de longs fémurs blanchis, des membres pourrissants".

Au matin du 25 septembre, le bataillon reçoit l’ordre de s’emparer d’une forêt, le bois en Hache, et d’une tranchée ennemie. Mon arrière-grand-oncle fait partie de la troisième vague d’assaut. Avec ses camarades, il doit assurer "la possession du terrain conquis", comme l’indique le journal de son régiment. À 12h24, une minute avant l’heure H, "la première vague est partie dans un ordre parfait […] ne rencontrant qu’une faible résistance et peu de canonnade". Mais en milieu d’après-midi, une violente contre-attaque allemande frappe les soldats français. "Les pertes sont très sensibles", note simplement le journal du 31e BCP. En deux jours, le bataillon a perdu 15 officiers, 45 sous-officiers et 447 chasseurs dont mon arrière-grand-oncle. Il n’avait que 24 ans.

Un mort, un amputé

Dans leur petite ferme du Morbihan, mes aïeux ne savent pas encore qu’une tragédie vient de les frapper. Mais ils vivent dans l'angoisse : leur autre fils Pierre, est lui aussi au front. Par un incroyable et triste hasard, son destin se joue aussi au même moment. Au lendemain de la mort de son frère, le 26 septembre 1915, l’aîné de la famille, adjudant au sein du deuxième régiment d’infanterie, prend place dans un convoi humanitaire. À Roclincourt, dans ce même coin du Pas-de-Calais, Pierre est grièvement blessé par balle le 16 juin, lors de la bataille d’Artois. Prisonnier, il est amputé du bras gauche et finalement rapatrié comme grand blessé vers la Bretagne.

Un fils tué, un autre estropié. Ma famille n’en a pas pour autant terminé avec la guerre. C’est désormais au tour de mon arrière-grand-père Élie, le plus jeune des trois frères Trouillard, d’enfiler l’uniforme. À 20 ans, il part aux armées au printemps 1918, où il intègre le 107e régiment d’artillerie lourde. Il prend part notamment à la seconde bataille de la Marne puis à des combats en Belgique. Il obtient même la croix de guerre avec étoile de bronze, accompagnée de cette citation : "Canonnier courageux et d’un dévouement complet, toujours volontaire et prêt à marcher en toute circonstance. Tenue exemplaire sous le feu de l’ennemi au cours des ravitaillements". À l’armistice, il est maintenu encore de longs mois sous les drapeaux. Ce n’est qu’en juin 1920 qu’il est autorisé à se retirer dans son petit village breton. Sain et sauf.

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Plus jamais ça

Jusqu’à la fin de sa vie dans les années 70, mon arrière-grand-père Élie gardera sous silence sa participation à la Grande Guerre. Il racontait vaguement "qu’il s’occupait des chevaux à l’arrière du front" et il n’exhibait jamais sa médaille, que nous n’avons d’ailleurs pas retrouvée. Seule référence à cette histoire douloureuse : il a donné comme prénom à son fils, mon grand-père, celui de Joseph, son frère aîné tombé au front. Cent ans après, notre famille, comme des milliers d’autres en France, renouent avec ce passé en découvrant les détails de la "der des ders". Pas question de glorifier la guerre, mais l’occasion de se souvenir de leurs souffrances et surtout de dire "plus jamais ça". Sur le mémorial de Notre-Dame-de-Lorette, mon arrière-grand-oncle Joseph Trouillard est désormais inscrit pour l’éternité. Son nom est gravé dans l’acier aux côtés de ses frères d’armes, entre celui de William Thomas Trounce, un soldat anglais, et celui de Rudolf Trottmann, un soldat allemand.