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Y’a-t-il trop de pilotes dans l’avion diplomatique américain de Trump en Ukraine ?
Steve Witkoff, Marco Rubio, Jared Kushner, Daniel Driscoll : autant de responsables américains chargés par Donald Trump de faire accepter à Kiev et Moscou un plan de paix. Mais ils semblent tous jouer leur propre partition, face à une Russie qui présente un front diplomatique uni.
(De gauche à droite) Jared Kushner, Marco Rubio, Daniel Driscoll et Steve Witkoff ont tous été chargé par Donald Trump de réussir à trouver un plan de paix pour mettre fin à la guerre entre la Russie et l'Ukraine. © Studio graphique France Médias Monde

Trop de négociateurs tuent-ils la négociation ? Le président américain Donald Trump semble avoir envoyé tous ses hommes sur le front diplomatique pour tenter d’arracher un accord de "paix" à la Russie et à l’Ukraine.

Depuis quelques jours, la place prise dans ces négociations par le secrétaire américain à l’Armée Daniel Driscoll intrigue de plus en plus les médias. "Pourquoi un secrétaire à l’Armée, sans formation diplomatique, a-t-il été dépêché à Kiev pour défendre le plan américain ?", s’est interrogé le New York Times, mercredi 26 novembre.

"Armée mexicaine" de négociateurs

Il n’est pas le seul nouveau venu dans la grande mêlée des négociations de paix. Jared Kushner, le gendre de Donald Trump, a également été aperçu dimanche 23 novembre à Genève lors des discussions entre Américains, Européens et Ukrainiens, a révélé le Financial Times jeudi 27 novembre.

Mais les nouvelles têtes n’ont pas chassé les anciennes. Steven Witkoff, l’envoyé spécial de Donald Trump, semble continuer à jouer les premiers rôles et devrait rencontrer le président russe Vladimir Poutine "la semaine prochaine", a indiqué le président américain.

En parallèle, Marco Rubio, le ministre américain des Affaires étrangères, continue de faire entendre sa propre voix, cherchant davantage à prendre en compte les revendications ukrainiennes. C’est lui qui avait suggéré, toujours à Genève, que le premier plan de paix porté par Steve Witkoff n’était pas "définitif". Il n’a pas été désavoué par Donald Trump pour autant.

Difficile de s’y retrouver. L’impression de cacophonie américaine est d’autant plus forte que, du côté russe, tout semble passer par Kirill Dmitriev, le patron du Fonds souverain russe et omniprésent émissaire de Vladimir Poutine. Face à ce front russe uni, "l’administration américaine donne vraiment une impression d’amateurisme où chacun évolue de son côté sans coordination avec les autres", note René Lindstaedt, spécialiste de la politique américaine à l’université de Birmingham.

Même au sein de la classe politique américaine, certaines voix à droite y perdent leur trumpisme. "Des sénateurs républicains comme Mitch McConnell ont critiqué ce ‘désordre’ diplomatique, alimentant ainsi les récits dans les médias faisant état de troubles au sein du camp présidentiel", note Inderjeet Parmar, spécialiste des relations internationales et de la politique étrangère nord-américaine à l’université City St George’s de Londres.

Offensive sur trois fronts

Il y aurait pourtant une logique dans ce chaos, d’après les experts interrogés par France 24. "C’est assez traditionnel de la méthode de Donald Trump consistant à laisser ses ‘stars’ tester leur approche indépendamment", résume Inderjeet Parmar. "Il attend et voit ensuite qui revient avec les meilleurs résultats", confirme René Lindstaedt.

L’armée américaine de négociateurs avance ainsi sur trois fronts distincts. "Il y a d’abord l’initiative de Genève, davantage axée sur l’Ukraine sous l’égide de Marco Rubio, puis les négociations d’ordre militaire à Abou Dhabi entre les Russes et les Américains, représentés par Daniel Driscoll. Enfin, la rencontre à venir à Moscou entre Vladimir Poutine et Steve Witkoff représente la troisième voie", résume Inderjeet Parmar.

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Y’a-t-il trop de pilotes dans l’avion diplomatique américain de Trump en Ukraine ?
© France 24
45:04

Elles ne sont pas toutes sur un pied d’égalité. "Marco Rubio, à la tête de la diplomatie américaine, devrait naturellement être celui qui coordonne les efforts à la manière d’un chef d’orchestre. Pourtant il n’en est rien, et il semble pris au dépourvu par les initiatives de Steve Witkoff et Daniel Driscoll", souligne Scott Lucas, spécialiste des relations internationales et de la politique étrangère américaine à l’université de Birmingham.

Le ministre des Affaires étrangères a eu son heure de gloire. "Durant l’été, il a fait partie de ce qu’on pourrait appeler les ‘adultes dans la pièce’ avec Keith Kellogg [l’envoyé spécial des États-Unis en Russie et Ukraine, NDLR]. Ils ont pu réaffirmer le soutien militaire à l’Ukraine", explique Scott Lucas.

Mais Marco Rubio a pâti "de la mise sur la touche de Keith Kellogg, qui va quitter son poste en janvier 2026", précise ce spécialiste.

En outre, la ligne "Rubio", qui permet à l’Ukraine de mieux se défendre grâce au soutien américain, coïncide mal avec l’objectif de Donald Trump de signer une paix au plus vite. Le président américain avait même indiqué vouloir la fin des combats pour Thanksgiving – soit le 27 novembre – avant de revenir sur cet objectif.

Daniel Driscoll, l'homme de J.D. Vance

Le camp présidentiel "n’est pas pro-Kremlin par idéologie, mais pour ces responsables américains, aboutir rapidement à la fin des hostilités est une issue 'gagnant-gagnant' pour reprendre les relations économiques avec Moscou et si cela nécessite de céder des territoires ukrainiens à la Russie, ainsi soit-il", résume Scott Lucas.

Ce serait donc Steve Witkoff, l’homme du très controversé plan de paix pro-russe, qui aurait le vent en poupe. Sauf que les révélations sur sa manière de négocier avec les Russes ont mis du plomb dans l’aile des démarches de cet ancien promoteur immobilier dépourvu d’expérience diplomatique. Le site d'information de la chaîne Bloomberg a, en effet, révélé mardi le contenu de discussions en octobre entre Steve Witkoff et un proche conseiller de Vladimir Poutine, dans lequelles l’émissaire américain semble donner des conseils à son interlocuteur pour mieux négocier avec Donald Trump. "C’est politiquement dommageable pour Donald Trump, car il a déjà des problèmes avec son camp, l’idée que la Maison Blanche fait le jeu de Moscou ne va pas plaire aux républicains qui restent hostiles à la Russie", souligne René Lindstaedt.

D’où l’irruption soudaine sur le devant de la scène de Daniel Driscoll et de Jared Kushner. Ils représentent un peu de sang neuf. Mais pas le même sang. Daniel Driscoll représente la branche J.D. Vance de l’effort pour la paix en Ukraine. Ce militaire a été camarade de classe à Yale du vice-président américain. "En fait, l’entrée en scène de Daniel Driscoll marque le retour de J.D. Vance dans le dossier ukrainien", affirme René Lindstaedt.

Ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle pour Kiev, car "J.D. Vance est connu pour être hostile au soutien à l’Ukraine", note René Lindstaedt. Pour cet expert, "c’est très malin de la part du vice-président, car il place un de ses hommes au cœur des négociations, ce qui lui permet de rester informé sans pour autant s’exposer trop ouvertement si le processus capote".

Donald Trump, lui, mise dorénavant sur Jared Kushner. Son arrivée "illustre la politique des amis et de la famille d’abord du président américain", souligne René Lindstaedt.

Le mari d’Ivanka Trump avait déjà fait parler de lui lors des négociations au Moyen-Orient. "On amène toujours Jared quand on a besoin de finaliser des négociations", avait affirmé Donald Trump devant le Parlement israélien en octobre, rappelle le Financial Times.

Le président américain voit son gendre "un peu comme son successeur dans l’art de conclure des accords", souligne René Lindstaedt. Jared Kushner s’investit aussi dans ces négociations  "parce qu’il possède des intérêts commerciaux en Russie", notent les experts interrogés par France 24.

Son "discret retour sur le devant de la scène diplomatique renforce le chaos ambiant autour de ces négociations en nourrissant les critiques quant à la manière dont l’administration américaine ignore les canaux officiels diplomatiques et les risques de conflits d’intérêts", déplore Inderjeet Parmar.