Les organisations non gouvernementales travaillant en Égypte ont désormais obligation de s'enregistrer auprès des autorités. Mais beaucoup considèrent qu'accepter ce fichage, c’est faire une croix sur leur indépendance. Reportage.
En Égypte, de nombreuses ONG craignent de devoir baisser le rideau. En juillet dernier, les autorités du Caire ont publié une annonce dans le plus grand journal d’État : toutes les organisations non gouvernementales doivent s’enregistrer officiellement. Sans quoi, elles risquent la saisie de leurs biens ou même des poursuites judiciaires.
Pour Mohamed Zaree, l’un des responsables de l’Institut du Caire pour les études des droits de l’Homme, s’enregistrer sous la loi actuelle, c’est faire une croix sur son indépendance : "C’est une loi qui interfère dans toutes les affaires des ONG. Elle donne au gouvernement le droit d’objecter aux décisions internes des ONG, de mettre son veto lors de l’élection du conseil d’administration… L’idée, c’est que cette loi transforme les ONG en agences gouvernementales."
Les autorités doivent également approuver tout financement venant de l’étranger. De quoi dissuader de nombreuses ONG de s’enregistrer. "C’est une tentative de supprimer les mouvements de défense des droits de l’Homme en Égypte. De créer une atmosphère de peur”, indique Mohamed Zaree.
Les fondateurs des ONG non accréditées par les autorités risquent jusqu’à six mois de prison. Des militants de défense des droits de l’Homme égyptien disent avoir reçu des menaces d’arrestation et ont quitté le pays. Certaines organisations ont déjà fermé. C’est le cas du centre Carter. Spécialisée dans les missions d’observation des élections, l’ONG américaine a dénoncé une restriction des libertés démocratiques.
L’enregistrement exigé des ONG intervient alors qu’un nouveau projet de loi sur les associations, jugé encore plus répressif, est en préparation. Mais d’après Ghada Wali, ministre de la Solidarité sociale, en charge de l'application de la loi, l’inquiétude des ONG est injustifiée. “Nous voulons simplement qu’elles viennent et déclarent ce qu’elles font car nous croyons en la transparence, assure-t-elle. Et je ne dis pas qu’on va réprimer telle ou telle entité ! Si ces entités ne font rien d’illégal, pourquoi devraient-elles s’inquiéter !”
Selon la ministre, les intérêts de sécurité nationale justifient le contrôle du financement de chaque organisation. "Si vous levez des fonds à l’international, vous devez informer le ministère : quel est votre donneur et comment est-ce que l’argent va être utilisé. Car nous sommes un pays visé par des attaques. Nous voulons nous assurer qu’il n’y a pas de blanchiment d’argent, qu’il n’y a pas d’argent allant vers les terroristes, que l’argent ne sert pas à acheter des armes et à s’en prendre à des gens innocents."
Engagé dans une guerre contre le terrorisme, l’Égypte se méfie de toute intervention extérieure. Depuis septembre, l’utilisation de fonds étrangers dans le but de saboter les intérêts du pays est passible de prison à vie. Les directeurs d’ONG redoutent que cet amendement au code pénal soit utilisé pour poursuivre leurs organisations.
La chasse aux humanitaires considérés comme douteux a d’ailleurs commencé. Il y a deux semaines, Bahghat Alanadoly, professeur de chimie à l’université du Caire, a été arrêté chez lui et emprisonné. L’organisation caritative qu’il dirige a récemment reçu de l’argent du Koweit. Un financement que les autorités ont jugé suspect.
"Mon père est venu ouvrir la porte et près de 50 policiers armés sont entrés d’un coup. Ils n’arrêtaient pas de fouiller partout et de dire : ‘Qu’est-ce que tu faisais avec cette organisation caritative ?” Puis ils l’ont pris et sont partis”, rapporte sa fille Shaima, professeur d’art et de mode à l’université du Caire.
Selon l’avocat de la famille, Baghat Alanadoly est accusé de collaborer avec les Frères musulmans, considérés comme des terroristes en Égypte. "Ils ont dit qu’il a pris ces fonds du Koweit pour faire des attaques à la bombe dans toute l’Égypte. Ce qui n’est pas vrai”, explique Shaima.
Plusieurs fois récompensé lors de compétitions internationales avec ses étudiants, le professeur fait les frais de la lutte du gouvernement contre les islamistes. Aucune date de procès n’a encore été fixée.
Laila Soueif est une collègue du professeur Baghat Alanadoly et une célèbre militante des droits de l’Homme. Elle est actuellement en grève de la faim car deux de ses enfants sont aussi en prison, accusés d’avoir manifesté sans autorisation. "Si le but c’est d’intimider les défenseurs des droits de l’homme, ils ne vont pas y arriver. Ils vont juste intimider tous les autres", affirme-t-elle. Dans un pays en pleine crise économique, dans lequel près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, la fermeture d’ONG par crainte de répression pourrait rapidement affecter la population.