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Lettre de Hollande à Compaoré : l’étalage d’une diplomatie invisible

Dans une lettre datée du 7 octobre, François Hollande invitait Blaise Compaoré à revoir ses ambitions de briguer un cinquième mandat. Preuve d’une diplomatie informelle en Afrique qui pourrait redorer le blason de la France sur le continent.

François Hollande fait-il preuve d’ingérence ? Dans une lettre envoyée à son homologue burkinabè Blaise Compaoré le 7 octobre, et publiée jeudi par "Jeune Afrique", le président français avait formulé une mise en garde cordiale. La missive, introduite par un familier "Cher Blaise", était censée désamorcer les velléités du chef d’État africain, alors sur le point de proposer une révision de la Constitution lui permettant de briguer un cinquième mandat.

"Il est important pour le Mali et pour l'ensemble de la région de consolider ses institutions et d'aller encore plus loin en matière de gouvernance et de démocratie. À cet égard, le Burkina Faso pourrait être un exemple pour la région si, dans les mois qui viennent, il avançait lui aussi dans cette direction en évitant les risques d'un changement non consensuel de Constitution. Vous pourriez alors compter sur la France pour vous soutenir, si vous souhaitez mettre votre expérience et vos talents à la disposition de la communauté internationale", indique la lettre. En clair, François Hollande offre une porte de sortie honorable à Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 27 ans après avoir accédé à la tête du pays en premier lieu à la faveur d’un coup d’État.

"François Hollande a anticipé ce qui allait se passer"

À cette date, Blaise Compaoré n’avait pourtant pas encore annoncé sa proposition de révision de la Constitution – ce qu’il a fait le 21 octobre. Selon Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Iris et spécialiste de l’Afrique contacté par France 24, le président français pourrait avoir été mis au courant de ce projet soit par des révélations de la part d’hommes politiques proches de Compaoré, soit via les services de renseignement.

"François Hollande a anticipé ce qui allait se passer", explique le spécialiste, qui voit dans ce courrier l’expression d’une "vigilance politique". "C’est un homme politique qui donne un conseil à un autre politique. Cela n’a rien d’étonnant, d’autant que la France et le Burkina Faso entretiennent des liens d’amitié. Ce n’est pas de l’ingérence", précise-t-il.

Philippe Hugon pointe par ailleurs le fait que tous les pays emploient les mêmes méthodes. "C’est de l’ordre de la diplomatie informelle. Ça se passe toujours comme cela, ce n’est pas du tout un phénomène spécifiquement franco-africain. Mais, généralement, ce genre de courrier n’est pas publié..."

"Tout à l’honneur de la diplomatie française"

La publication de cette lettre pourrait, selon l’expert, avoir été planifiée par l'Élysée afin de prouver que la France œuvre au respect de la Constitution au Burkina Faso. Une manière de redorer le blason de la diplomatie française qui se traîne, sur le continent africain, la mauvaise réputation de soutenir des régimes à vie. Selon le site "Sukissa", l’existence de cette missive avait d’ailleurs été révélée, le 23 octobre, par le ministère français des Affaires étrangères lui-même, lequel n’avait pas donné de détails sur le contenu.

"C’est tout à l’honneur de la diplomatie française que de dire, contrairement à certaines périodes passées, qu’elle estime que ce qui est le plus important sont les transitions démocratiques et les alternances", a estimé, vendredi 31 octobre, Pouria Amirshahi, député socialiste des Français de l’étranger sur l’antenne de France 24. "C’est bien de l’avoir dit, c’est bien de l’avoir écrit. Cette approche était légitime et juste."

Le parlementaire a par ailleurs indiqué que ce n’est pas à la France "de dicter, d’influer en quoi que ce soit le cours des évènements qui concernent avant tout les Burkinabè".

Le Burkina Faso, un partenaire stable qui doit le rester

Néanmoins, le sort de cet État de l’Afrique de l’Ouest, avec lequel la France entretient un accord de coopération militaire, inquiète dans les plus hautes sphères. "C’est un État stable et sécurisé dans un environnement très instable", explique Philippe Hugon. Aide précieuse dans la crise malienne et fin connaisseur du terrain, le Burkina Faso est "incontournable en matière de médiation diplomatique."

Un allié dont la fragile stabilité politique doit donc être préservée. Après l’annonce vendredi de la démission de Blaise Compaoré, devenu un président contesté par son peuple, François Hollande a salué cette décision et demandé la tenue rapide d'élections démocratiques.