Les auditions préliminaires pour le procès qui doit opposer Goldman Sachs au fonds souverain libyen ont débuté lundi. Selon certains témoignages, la banque américaine a gagné des centaines de millions de dollars aux dépens du régime de Kadhafi.
De l’alcool, des filles, un voyage au Maroc et des folles nuits de fête à Londres. Goldman Sachs est accusé d’avoir “sorti le grand jeu”, en 2008, pour gagner la confiance des membres du fonds souverain libyen de l’ère Kadhafi. Dans quel but ? Obtenir un milliard de dollars d'investissement, dont la banque américaine a été la seule gagnante.
C’est ce qui ressort de la première journée d’audition devant la justice britannique, lundi 6 octobre, lors d'une audience préliminaire d'un procès qui oppose la Libyan Investment Agency (LIA - le fonds souverain libyen) à Goldman Sachs. La banque d’affaires américaine est accusée d’avoir utilisé indûment son influence sur les hommes du LIA. Elle aurait ensuite utilisé la “naïveté” des Libyens en matière boursière pour engranger 350 millions de dollars sur leur dos.
La naïveté des Libyens
Neuf accords d’investissement, conclus entre janvier et avril 2008, portant sur un milliard de dollars sont au cœur de cette affaire. D’après ses avocats, la LIA pensait acheter des actions de multinationales réputées telles qu’EDF ou Citigroup. En fait, Goldman Sachs lui proposait d’investir dans des produits financiers indexés à l’évolution du cours de l’action de ces groupes. Avec la crise financière, tous ces paris risqués ont échoué. Le fonds libyen s’est retrouvé plus pauvre d’un milliard de dollars (sur un total de 66 milliards de dollars).
Plusieurs témoignages préliminaires, fournis par les avocats de la LIA, semblent attester que les Libyens, qui venaient tout juste de créer leur fonds souverain, ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Dès 2007, un conseiller financier externe avait mis en garde la Libya Investment Authority contre les promesses de Goldman Sachs. Voyant que la “confiance accordée en vertu de la réputation internationale [de Goldman Sachs] l’emportait” sur ses recommandations, ce conseiller a mis un terme à sa mission pour la LIA.
Mais c’est surtout le témoignage de l’avocate australienne Catherine McDougall qui donne une très mauvaise image du comportement des représentants de Goldman Sachs. Elle aussi a travaillé pour la LIA avant d’être remerciée pour avoir remis en cause les conseils de la banque américaine. Elle a avoué au “Financial Times” être sortie “traumatisée” de cette expérience.
“Je me suis renseignée sur les résultats des vérifications indépendantes des accords [conclus avec Goldman Sachs], et les responsables du fonds libyen m’ont rétorqué qu’ils n’en avaient pas fait car ils avaient entièrement confiance en Goldman Sachs”, a raconté cette avocate devant la justice britannique. Cette confiance est, d’après elle, le résultat de l’opération séduction du banquier Youssef Kabbaj.
"Magic" Kabbaj
Ce “Goldman Sachs boy” a sorti la carte de crédit de la banque à plusieurs reprises, d’après Catherine McDougall, pour inviter les Libyens au Maroc et leur proposer des nuits de fête à Londres. Dès que Goldman Sachs et la Libye ont commencé à parler affaires, fin 2006, Youssef Kabbaj est devenu le chaperon des responsables du fonds libyen à Londres. C’est dans la capitale britannique que la Libye du colonel Kadhafi avait décidé de s’installer pour tenter de faire fructifier sa rente pétrolière. “Alors que la LIA n’avait pas encore fini d’acheter tout le matériel pour ses bureaux, Youssef Kabbaj était déjà en train de pousser pour que le fonds investisse dans certains produits financiers de Goldman Sachs”, peut-on lire dans le compte rendu de la cour londonienne de la première journée d’audition.
Catherine McDougall se souvient également avoir entendu Youssef Kabbaj expliquer les fondamentaux de la Bourse “plusieurs semaines après la signature par la LIA des accords d’investissement”. Autant d’indices qui semblent contredire les affirmations de la banque américaine. Elle assure, en effet, que les responsables du LIA étaient tout à fait capables de comprendre les spécificités et risques des investissements effectués. Ils “avaient tous une expérience en tant que banquier international”, soutient Goldman Sachs.
La banque affirme que le reste des accusations est trop vague pour être pris au sérieux. Elle reconnaît avoir choyé les représentants du LIA, mais n'y voit aucun problème. Selon Goldman Sachs, ce genre de pratiques n’a rien d’extraordinaire et n’implique pas une tromperie. Affirmer le contraire ne serait, d’après la banque, que se fonder sur des simples rumeurs. La justice britannique va devoir faire la part des choses lors du procès qui, lui, débutera l’année prochaine.