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Pourquoi y a-t-il autant de jihadistes belges en Syrie ?

Procès du groupe Sharia4Belgium, affaire Medhi Nemmouche, attentats déjoués... La Belgique, rongée par le radicalisme religieux, serait proportionnellement le plus gros fournisseur de jihadistes en Europe. Décryptage.

Existe-t-il une zone d'entraînement jihadiste dans les Ardennes belges, à moins de 50 kilomètres de la frontière française ? C'est en tous cas une piste sur laquelle travaille la police belge, selon des informations révélées par deux journaux flamands, "Nieuwsblad" et "De Standaard".

Si l'information est confirmée, ce ne serait pas la première fois que la Belgique est confrontée au radicalisme islamiste sur son propre territoire. Il y a quatre mois, le Français Mehdi Nemmouche avait fait la une des journaux après avoir abattu quatre personnes, au nom de la guerre sainte, dans le musée juif de Bruxelles. L’affaire a été d’autant plus médiatisée qu’il s’agissait du premier acte terroriste réussi sur le sol européen en provenance des filières jihadistes syriennes. La semaine dernière, le plat pays avait également attiré l’attention avec l’ouverture du procès de Sharia4Belgium, un groupuscule salafiste soupçonné d’être le plus grand recruteur en Belgique de combattants jihadistes pour la Syrie.

Il y a quelques jours, une étude de "The Economist" a révélé que la Belgique était aujourd’hui le pays occidental qui fournit le plus gros bataillon de jihadistes, proportionnellement au nombre d’habitants. Plus précisément, l'étude statistique estime qu'il existe en moyenne 22 jihadistes belges pour un million d’habitants. Suit le Danemark avec 17 jihadistes pour un million d’habitants et enfin la France avec 11 ressortissants jihadistes pour un million d’habitants. Au total, la Belgique - dont la population est estimée à 11 millions d’habitants - compte 250 jihadistes en Syrie et en Irak. Mais comment la Belgique, petit État situé entre la France, les Pays-Bas et l’Allemagne, est-elle devenue cet important pourvoyeur de terroristes ?

La Belgique, un État "maillon faible"

"Le problème n’est pas nouveau", explique à France 24 Roland Jacquard, le président de l'Observatoire international du terrorisme. Dans les années 1990, déjà, la Belgique était considérée comme une terre d’ancrage par les terroristes. "À cette époque, des membres du Groupe islamiste armé [le GIA, impliqué dans la guerre civile algérienne des années 1990, NDLR] se servaient déjà de la Belgique comme une terre de repli […] C’était un pays où transitaient des armes, du matériel, des médicaments", ajoute le spécialiste.

Il y a en quelque sorte une tradition d’asile politique que la Belgique n’a jamais reniée. Ces dix dernières années, le pays a connu une arrivée nette d’un demi-million de personnes, selon une étude de l'Itinera Institute, un think tank basé à Bruxelles. Et il a longtemps accordé la nationalité de façon généreuse. "Beaucoup plus que les autres pays européens", ajoute Roland Jacquard. "[On obtenait la nationalité belge] sur de simples conditions de résidence, avec le postulat erroné que la naturalisation faciliterait l’intégration", analyse, de son côté, Alain Destexhe, sénateur belge, pour "Le Figaro".

"La Belgique a toujours voulu être à la pointe des libertés en Europe. À la pointe de la liberté de circulation, à la pointe de la liberté de pensée", ajoute Roland Jacquard. "Mais cela crée un État avec des trous juridiques, des défaillances […] Cela créé un État-maillon faible, exploité aujourd’hui par les terroristes".

Le parti "Islam", en faveur de la charia en Belgique

L’arrivée d’une population immigrée [en partie marocaine depuis la signature en 1964 d’un accord bilatéral entre la Belgique et le Maroc] sans politique d’intégration est aujourd’hui critiquée par les spécialistes. En 2008, un tiers de la population était musulmane, selon une étude de "La Libre Belgique". Si la grande majorité d’entre eux s’est intégrée, certains quartiers se sont ghettoïsés, minés par le chômage, le décrochage scolaire, la petite délinquance et le radicalisme religieux.

Cette percée du fondamentalisme se ressent même dans la sphère publique : le parti politique "Islam", fondé en 2012, compte deux élus communaux à Bruxelles. Il revendique ouvertement dans son programme l’instauration de la charia en Belgique. Autre signe inquiétant de cette montée en puissance de l’extrémisme, le procès de Sharia4Belgium, où 46 prêcheurs sont accusés d’avoir recruté des volontaires au jihad. Environ 10 % des 250 jihadistes belges auraient gravité autour du groupuscule.

"Même un chien s'enfuirait d'Anvers"

En Belgique, donc, les recruteurs ont souvent trouvé une oreille attentive auprès d’une jeunesse livrée à elle-même. Dans un pays où le chômage touche 24 % des moins de 25 ans, "ces prédicateurs ont réussi à s’implanter et à approcher ces jeunes sans travail, sans idéal", explique Roland Jacquard. "Contrairement à la France, où les apprentis jihadistes se radicalisent sur Internet, sans connaître vraiment les notions de l’islam, en Belgique, le recrutement se fait à travers des prédicateurs qui leur inculquent une véritable idéologie extrémiste, où la charia est le but suprême. Ils partent en Syrie, complètement fanatisés".

Cette analyse concorde avec le témoignage d’un jihadiste belge parti récemment en Syrie et qui disait se sentir opprimé en Belgique : "L'interdiction du voile, l'interdiction de porter un niqab dans la rue, la discrimination sur le marché de l'emploi, le racisme dans la police anversoise. Notre foi y est insultée en permanence. Même un chien s'enfuirait d'Anvers", a-t-il expliqué au quotidien "La Libre Belgique".

Le pays fait son possible pour lutter contre ce fléau : Bruxelles a notamment mis en place une task force, un système de lutte anti-jihadiste. Sous la pression de son opinion publique, elle a multiplié ces derniers mois les coups de filets dans les milieux salafistes. Mais son arsenal législatif est bien maigre. "La Belgique a un système répressif limité, elle n’a pas mis en place suffisamment tôt une surveillance anti-terroriste accrue", explique Roland Jacquard. "Il y a eu un laxisme du gouvernement belge", tacle de son côté Gérard Chaliand, spécialiste des conflits armés au Moyen-Orient. Résultat : le pays est un "aimant jihadiste", selon le terme de Pierre Berthelot, spécialiste du Proche-Orient à l’Université de Bordeaux III et chercheur associé à l'Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE).

Un pays géographiquement intéressant

Un "aimant" tel que les jihadistes s'incitent mutuellement à s’y rendre. "Il y a trois ou quatre ans, j’ai eu connaissance d’un ‘Guide d’action’, une sorte de manuel pour les futurs jihadistes, que la police avait trouvé lors d’une perquisition à Manchester dans une planque salafiste. À l’intérieur de ce livre, on y expliquait très clairement quels étaient les deux pays où les jihadistes devaient se former : l’Angleterre, si l’on parle un peu l’anglais, et la Belgique si l’on parle le français", ajoute Roland Jacquard.

Toutes ces données alliées à la position géographique favorable du plat pays ont fait de la Belgique une terre "idéale" pour les jihadistes. "De Bruxelles, on peut se rendre en France sans contrôle, et l'on peut se rendre aux Pays-Bas très facilement. Une fois là-bas, on ouvre une voie vers les pays nordiques, où d’ailleurs le problème jihadiste est très présent, même si l'on en parle peu", explique-t-il. Même analyse de Pierre Berthelot. "Géographiquement parlant, Bruxelles est un point de ralliement, une plaque tournante qui favorise les passages. Et comme l’État central est affaibli par d’autres problèmes, comme celui du conflit entre Wallons et Flamands, les jihadistes se sont ‘épanouis’ sans être vraiment inquiétés. Ils n’étaient pas au centre de la préoccupation du gouvernement."

Aujourd’hui, parce que le pays "n’a pas voulu voir, n’a rien entendu et n’a rien dit", selon les mots d’Alain Destexhe, Bruxelles est confronté à une double problématique : la lutte contre l’endoctrinement et la vigilance face à l’éventuel retour de jeunes fanatisés. "Les services de sécurité belges ont déjà déjoué un attentat contre la Commission européenne, un lieu hautement symbolique", précise Pierre Berthelot. "Une attaque similaire à celle de Mehdi Nemmouche. C’est là le drame de la Belgique, qui est à la fois une zone de refuge pour les jihadistes et une terre d’action où mener des attaques", conclut-il.