
Vladimir Poutine a tenté jeudi de rassurer les investisseurs en vantant la "stabilité" de l'économie russe. Le pays subit pourtant l'effet des sanctions occidentales, décrétées en réaction au conflit en Ukraine.
À l’occasion d'un forum annuel consacré à l'investissement, de hauts responsables des milieux économiques russes se sont montrés alarmistes, jeudi 2 octobre. Ils s’inquiètent des signaux moroses qu'affiche l'économie de la Russie, mise à mal par les sanctions occidentales, et des faiblesses structurelles persistantes. Le ministre russe de l'Économie, Alexeï Oulioukaïev, a ainsi évoqué les risques de voir émerger une "situation explosive".
Lors du forum à Moscou, la critique la plus sévère à l’encontre de la politique de Vladimir Poutine a émanée de German Gref, ex-ministre de l'Économie et PDG de Sberbank, la plus grande banque russe. Il a fait le rapprochement entre l'état actuel de l'économie russe et celui de la défunte URSS, qui faisait, à la fois, face à des prix très élevés du pétrole et à d'"importants problèmes structurels". "Nous ne pouvons pas tolérer la même situation", a prévenu l’homme d’affaire, appelant Moscou à ne pas répéter les erreurs de l'Union soviétique.
"Ces interventions témoignent de la perte d'influence des milieux économiques, estime Andreï Iakovlev, analyste à l'École supérieure d'Économie. Avant, de tels discours auraient été tenus en privé. Apparemment, ils n'ont aujourd'hui plus d'autre possibilité de faire entendre leur opinion".
La veille, le Fonds monétaire international (FMI) allait dans le même sens, n’hésitant pas à qualifier de "tristes" les perspectives économiques de la Russie, où l’inflation devait atteindre les 8 % cette année, tandis que la croissance devrait être inférieure à 1 % du PIB. "Les tensions géopolitiques, y compris les sanctions [...] et la peur de leur escalade font augmenter l'incertitude et font baisser la confiance et l'investissement", a indiqué le FMI dans un communiqué.
Vladimir Poutine confiant
Ignorant les sonnettes d'alarme tirées par plusieurs personnalités influentes de la sphère économique russe, Validimir Poutine, présent lors de ce forum, s'est appliqué à rassurer et à démontrer que la situation était sous contrôle. Pour le président russe donc, tout va bien. "Les facteurs fondamentaux garantissant notre stabilité sont très forts, très solides", a martelé le chef du Kremlin devant les investisseurs russes et étrangers.
Pour Jacques Sapir, spécialiste de la Russie et directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), joint par France 24, il n’y a pas vraiment de rébellion des milieux d’affaires russes. L’économiste estime qu'en réalité, l’ancien ministre de l’Économie German Gref "se plaint d’être mis de côté dans l’entourage de Poutine, alors il adopte une attitude volontairement catastrophiste". "Les sanctions n’ont pas d’effet dramatique sur l’économie russe. Elles ont par contre une incidence sur l’inflation", explique Jacques Sapir.
Selon lui, la plupart des chefs d’entreprises restent encore proches du pouvoir. "Ces milieux résonnent avant tout par opportunisme, ils sont d’accord avec le président parce qu’il a le vent en poupe. Il peut y avoir des chefs d’entreprise qui vous disent en privé "on aimerait bien que cette politique se calme". Mais aujourd’hui "l’opinion publique soutient tellement Poutine sur l’Ukraine qu’adopter une position contraire serait suicidaire", analyse Jacques Sapir.
Sur fond de crise ukrainienne et de fortes tensions internationales, "les intérêts politiques et géopolitiques russes vont à l'encontre des intérêts économiques. Dans ce genre de situation, Poutine a toujours sacrifié le développement économique", affirme pour sa part la politologue Maria Lipman.
Les sanctions profitent à certaines entreprises
Fortement dépendante des exportations de matière première, l'économie russe voit ses entreprises privées d'accès aux marchés internationaux des capitaux et aux technologies dont elles ont besoin en raison des sanctions décrétées à son encontre.
Les capitaux continuent également de s'échapper massivement du pays et devraient constituer une perte de 120 milliards de dollars cette année. Le rouble a, pour sa part, perdu près du quart de sa valeur en un an, enchaînant les records de faiblesse face au dollar et forçant la Banque centrale russe à intervenir.
Mais pour Jacques Sapir, certaines entreprises russes y trouvent leur compte. "La dépréciation du rouble fait gagner beaucoup d’argent à Gazprom, car leur produit est fabriqué en rouble et vendu en dollar". L’économiste observe également une remontée de l’activité industrielle, notamment dans le secteur de l’agro-alimentaire où l’industrie russe se développe "en substitution aux importations européennes".
Avec AFP et Reuters