Pour la première fois, la Cour européenne des droits de l’Homme a remis en cause, dans deux jugements distincts, la position de la France qui interdit aux militaires la constitution d’un syndicat ou le ralliement à l’un d’entre eux.
Jeudi 2 octobre, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a pour la première fois ouvert une brèche dans l'interdiction faite aux militaires français de se syndiquer. Pour les requérants qui ont eu gain de cause, ce premier pas pourrait mener vers une "révolution" au sein de la grande muette.
Dans deux affaires distinctes, les juges de Strasbourg ont accepté le principe de "restrictions légitimes" dans la liberté d'association des militaires. Mais cependant pas au point d'interdire de manière "pure et simple de constituer un syndicat ou d'y adhérer", comme c’est le cas en France.
La première affaire concerne un gendarme de 49 ans, Jean-Hugues Matelly, qui avait créé en 2008 le "Forum gendarmes et citoyens", une association centrée sur la communication, ouverte aux gendarmes, en activité ou retraités, comme aux civils. La direction de la gendarmerie avait contraint Jean-Hugues Matelly et les autres gendarmes en activité à démissionner de cette structure. Et le Conseil d'État avait rejeté en 2010 un recours exercé contre cette injonction.
La seconde affaire tranchée jeudi concerne l'Adefdromil (Association de défense des droits des militaires), créée en 2001 par deux militaires. Le Conseil d'État avait rejeté les recours de ce groupement contre des actes administratifs, en s'appuyant sur l'interdiction de se syndiquer pour les militaires.
Dans les deux cas, la CEDH a estimé que la France avait violé la liberté d'association des requérants, en édictant "une interdiction pure et simple de constituer un syndicat ou d'y adhérer", qui "porte à l'essence même de cette liberté".
Vers "une révolution dans l’armée française" ?
"Cela va être une révolution dans l'armée française et le gouvernement a aujourd'hui la possibilité de faire une vraie réforme", s'est réjoui Jacques Bessy, président de l'Adefdromil.
"Quand vous voyez qu'au Mali, les soldats étaient confrontés à des problèmes d'équipements, de sécurité mais que cela reste opaque, ce n'est plus possible", a-t-il martelé, estimant que l'armée française serait "enfin un peu plus citoyenne et un peu moins prétorienne".
De son côté, Jean-Hugues Matelly s'est dit triste que la France, "qui a inventé, il y a deux siècles, le soldat-citoyen, doive se faire rappeler à l'ordre par l'Europe". "Grâce à cette décision, les militaires ne seront plus cantonnés à l'écart de la société", s'est-il toutefois félicité.
Pour le juriste en droit public Nicolas Hervieu, "il est clair que cet arrêt va impliquer une modification de la législation française" et en particulier de l'article du Code de la Défense qui interdit tout "groupement professionnel à caractère syndical" dans l'armée.
Mais "l'armée garde la possibilité de poser des restrictions, sur les conditions de critique contre l'institution par exemple", ou encore au sujet des "conditions de négociations collectives", a relevé ce spécialiste de la CEDH, membre du Centre de recherches et d'études sur les droits fondamentaux (Credof, Université Paris Ouest Nanterre).
En ce sens, la Cour a donc confirmé ce qu'elle avait déjà posé dans un arrêt de 2009, dans une affaire qu’à l’époque, Jean-Hugues Matelly portait déjà.
Le gendarme, qui est également chercheur au CNRS, avait été sanctionné après avoir formulé des critiques dans les médias sur l'institution. Mais la CEDH ne lui avait pas donné gain de cause, admettant que les autorités françaises pouvaient légitimement demander à ce que sa liberté d'expression soit limitée.
Avec AFP