
Le premier procès d’une "class action" à la française oppose, à partir de mercredi, l’UFC-Que Choisir à Foncia. Une affaire qui illustre les spécificités de l’action de groupe française par rapport au dispositif américain.
L’UFC-Que Choisir n’est pas Erin Brockovich et son action en justice contre Foncia ne vise pas à faire date dans l’histoire de la cause environnementale. Mais la procédure, débutée à Paris mercredi 1er octobre, n’est pas non plus anodine : c’est le premier cas d’action de groupe en France.
Cette association de défense des consommateurs inaugure donc le mécanisme de "class action" à la française inscrit dans la loi consommation portée par l’ex-ministre de l’Économie solidaire Benoît Hamon. Cette affaire, dans laquelle l’UFC-Que Choisir accuse l’administrateur de biens immobiliers Foncia de pratique abusive contre plus de 310 000 locataires en France, illustre parfaitement les différences entre le nouveau système français et les célèbres "class actions" à l’Américaine.
Uniquement le droit de la consommation et de la concurrence. Erin Brockovich n’aurait pas pu faire condamner une multinationale pour des cas de pollution en vertu du nouveau régime français des actions groupées.
L'action en justice contre Foncia illustre le but affiché du texte français : régler les "litiges du quotidien" qui opposent les consommateurs à des entreprises privées. Il s’agit de "ceux qui portent atteinte au droit de la consommation et au droit de la concurrence", explique le "Village du droit", site francophone des métiers du droit.
En l’espèce, l’UFC-Que Choisir estime que les frais d’expédition de quittance imposés aux locataires sont abusifs. Des frais qui auraient rapporté "abusivement" 44 millions d’euros à Foncia.
Uniquement des dommages matériels. La loi Hamon est claire à ce sujet : la réparation ne peut porter que sur des "préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par les consommateurs".
Cette définition exclut tout ce qui touche à la santé (dommages corporels) ou à l’environnement, "qui est considéré comme un bien gratuit", souligne le magazine "L’Express". En clair, les victimes du Mediator et des prothèses PIP ne peuvent pas intenter d’actions de groupe. Pour Benoît Hamon, cette procédure "est, par nature, moins adaptée à la réparation de préjudices corporels ou moraux, qui nécessitent des expertises individuelles".
On est très loin de l’exemple américain où les cigarettiers sont des cibles de choix des "class actions". Ils ont payé 370 milliards de dollars de dédommagement en 25 ans, rappelle le quotidien "La Dépêche du Midi".
Uniquement des associations agréées. Elles sont 15 et seulement 15 à pouvoir lancer des actions de groupe. Outre l’UFC-Que Choisir, 14 autres associations de défense des consommateurs ont reçu l’autorisation de l’État.
Ce monopole de l’action de groupe a été très mal accueilli par les avocats. "Cette démarche, qui revient à faire juge de l’opportunité d’une action une association et non pas le professionnel qu’est l’avocat, heurte de front l’honneur même de la profession", avait jugé en 2013 Christian Charrière-Bournazel, ancien président du Conseil national des barreaux.
Pour les auteurs de la loi, le but était d’éviter les dérives américaines. Benoît Hamon avait pointé du doigt le risque de créer "une rente pour les cabinets d’avocats" comme cela peut se produire aux États-Unis où il existe des cabinets entiers spécialisés dans les class actions.
L’opt-in contre l’opt-out. Aux États-Unis, une "class action" représente toutes les personnes d’un même groupe défini par l’action en justice. C’est-à-dire que certains salariés d’une entreprise peuvent, avec un avocat, lancer une procédure au nom de tous les employés. Ceux qui ne veulent pas y être associés doivent le faire savoir. C’est ce qu’on appelle l’opt-out.
Le principe français est totalement différent. L’association de consommateur lance d’abord, au nom d’un groupe, une action contre une entreprise. Si le juge reconnaît sa responsabilité, les victimes qui appartiennent à ce groupe doivent, ensuite, déclarer qu’elles veulent être associées à l’action en réparation. C’est l’opt-in. C’est pourquoi l’UFC-Que-Choisir évoque 318 000 personnes concernées. L’association ne sait pas combien de locataires vont finalement rejoindre le navire.
Ce principe français est potentiellement explosif pour les entreprises qui seraient attaquées. Comme le consommateur peut se manifester après la décision du juge, "l’entreprise est donc dans l’incapacité de connaître en amont les coûts résultant d’une action et donc de faire face à cette conséquence financière", souligne "Le Village de la Justice".