En mars 2014, la Crimée votait massivement pour un rattachement à la Russie, lors d’un référendum jugé illégal par la communauté internationale. Si la majorité des habitants sont heureux de vivre ce changement, certains se sentent comme des étrangers dans leur propre pays. Notre reporter Ksenia Bolchakova s’est rendue dans la péninsule, en pleine russification.
C'était il y a six mois. Le 16 mars 2014, après un référendum très contesté sur la scène internationale, la Crimée est revenue dans le giron russe. Un acte d’annexion pour Kiev. Le rétablissement de la justice historique pour les Russes et les russophones de Crimée.
Les protestations des autorités ukrainiennes et la multiplication des sanctions occidentales contre la Russie n’y feront rien. De facto, un État a pris le pas sur un autre. De la monnaie aux papiers d’identité, des entreprises publiques aux banques... Tout et tout le monde a changé de nationalité. Si la Crimée était déjà essentiellement russophone, l’enseignement de l’ukrainien est devenu facultatif… Les centres de vacances (hôtels et sanatoriums) qui appartenaient à Kiev ont été saisis par le Kremlin. Plus d’1,5 million de Criméens ont reçu leur nouvelle pièce d’identité... russe.
Partout, le drapeau russe flotte. Dès la descente d’avion, c’est une impression d’euphorie pro-Kremlin qui frappe le visiteur. Avec le carton de l’été : les tee-shirts à l’effigie de Vladimir Poutine.
Si la "période de transition", comme l’appelle les habitants, n’est pas terminée, la russification, elle, semble bel et bien achevée. Elle est troublante aussi – par sa rapidité, son efficacité… Comme si Moscou voulait la rendre incontestable, irréversible... Difficile d’imaginer qu’il y a quelques mois, ces terres au bord de la mer Noire étaient ukrainiennes !
Dans leur large majorité, les habitants que nous avons interviewés ne regrettent pas ce changement de drapeau. Comme Larissa et Guenadi Moisseev. Pour ce couple, l’annexion a eu lieu en 1991, quand à la chute du bloc soviétique, la Crimée est devenue ukrainienne. Pour eux, mars 2014, "le printemps russe" est synonyme d’espoir et d’avenir. Ils savent qu’il ne sera pas rose, les nombreuses coupures d’eau et d’électricité, acheminées via l’Ukraine, le leur rappelle au quotidien, mais ils placent toute leur confiance en la Russie et ses subventions. Elles avoisinneront les 150 milliards d’euros sur cinq ans, pour polir ce joyau qu’est la Crimée, et que Vladimir Poutine convoitait tant.
Peur des représailles
Seuls quelques détails mettent la puce à l’oreille. Quelques voitures circulent encore avec des plaques ukrainiennes et des panneaux en ukrainien subsistent le long des routes. Aux quatre coins de Simferopol, la capitale, on peut voir de longues files d’attentes. Les habitants tentent de retirer de l’argent dans les banques ukrainiennes aux portes closes. Aux bureaux de poste, d’autres viennent chercher leur retraite en liquide - les virements, cela n’existe plus... D’autres encore changent d’opérateur mobile, les numéros ukrainiens n’étant plus valables.
Ceux qui dénoncent ce nouveau statu quo se font rares. Les reporters de France 24 ont pu rencontrer quelques militants pro-Kiev, mais ils étaient difficiles à convaincre de parler devant la caméra, refusant que leur visage soit reconnaissable. Ils ne voulaient pas recevoir de journalistes chez eux, par peur des représailles. Finalement, le rendez-vous a été donné dans un parc, aux abords de Simferopol. À l’abri des regards, ils expliquent ne jamais avoir eu le choix…
Pour eux le referendum était une belle fraude. Les deux questions posées - "Être avec la Russie ?" ou "Être avec la Russie ?" - ne pouvaient in fine obtenir qu’une seule réponse. Réduits au statut de minorité silencieuse, effrayés, certains songent à quitter la péninsule. Ils seraient près de 20 000 Ukrainiens à voir déjà sauté le pas.