
Les personnalités politiques tunisiennes briguant la présidence avaient jusqu’au lundi 22 septembre pour déposer leur candidature. À deux mois du scrutin, France 24 passe les troupes en revue.
Pour la première fois depuis la chute du régime de Zine el-Abidine Ben Ali en janvier 2011, la Tunisie élira le 23 novembre son président au suffrage universel. Bien que la nouvelle Constitution tunisienne n’accorde qu’un pouvoir limité au chef de l’État, sa désignation doit permettre au pays de s’engager davantage dans un processus démocratique mis à mal par une succession de crises politiques provoquées, notamment, par les assassinats de deux responsables politiques de gauche.
Les prétendants au poste avaient jusqu’au 22 septembre pour se signaler. Plus d’une vingtaine de personnes ont officiellement déposé leur candidature à la présidentielle auprès de l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE), qui devra statuer sur la validité des dossiers avant le lancement officiel de la campagne le 1er novembre. Revue des principaux prétendants à la course.
Moncef Marzouki, candidat à sa propre succession
Sans grande surprise, l’actuel président Moncef Marzouki, 69 ans, a officialisé samedi 20 septembre sa candidature. Élu à la fin de 2011 par les membres de la Constituante à la suite d'un accord de coalition entre sa formation de l’époque, le Congrès pour la République (CPR), les sociaux-démocrates d’Ettakatol et les islamistes d’Ennahdha, cet opposant historique à Ben Ali se présente aujourd’hui en indépendant, certain que son statut de rassembleur lui sera profitable.
Pour certains observateurs, Moncef Marzouki peut espérer bénéficier du soutien d’Ennahdha, qui n’a investi aucun prétendant officiel. Favoris des législatives qui précéderont la présidentielle, les islamistes ont à plusieurs reprises indiqué qu’ils se rangeraient derrière un "candidat consensuel" mais n’ont toujours pas désigné la personnalité qui aurait leur faveur.
Accusé par les laïcs d’avoir pactisé "avec le diable" pour satisfaire ses ambitions présidentielles, cet ancien neurologue formé en France répète à l’envi qu'Ennahda et les forces dites "progressistes" doivent agir de concert pour assurer l'unité du pays.
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Ses deux ans et demi passés au palais présidentiel de Carthage ont été marqués par plusieurs maladresses qui ont quelque peu terni son statut de fervent défenseur des droits de l’Homme (son engagement contre le règne de Ben Ali lui valut des années d’exil en France).
Malmené par l’opposition, le chef de l’État s’est ainsi publiquement emporté contre "les extrémistes laïques" dont l'arrivée au pouvoir provoquerait, selon lui, "une révolution [islamiste] bien plus féroce". En juin 2014, Moncef Marzouki a également fait l’objet d’une plainte en diffamation pour avoir moqué lors d'une cérémonie publique "la profonde ignorance" des Tunisiens sur l'Afrique.
Lors du dépôt de son dossier, le président sortant s’est présenté comme le candidat de la "transparence", en opposition à ceux bénéficiant de "l’argent sale" issu de milieux d’affaires qu’il dit encore proches de Ben Ali.
Béji Caïd Essebsi, l’homme d’expérience
L’homme fort de Nidaa Tounès, le principal parti d’opposition, s’est très tôt déclaré candidat. À l’aune de ses 88 ans, Béji Caïd Essebsi (BCE) peut se targuer d’être l’une des personnalités politiques les plus expérimentées du pays : ministre de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de la Défense d’Habib Bourguiba, ambassadeur de Tunisie en France, président de l’Assemblée nationale, chef du gouvernement intérimaire mis en place au lendemain de la chute de Ben Ali… Mais davantage que son CV, c’est son âge avancé que ses détracteurs, même ceux au sein de Nidaa Tounès, préfèrent pointer.
Dans un pays dont plus de la moitié de la population a moins de 35 ans, et où l’actuel Premier ministre, le quadragénaire Mehdi Jomaa, incarne un renouveau politique, ce "vieux routier" de la politique pourra en effet sembler dépassé...
Certains, dans les rangs "progressistes" de Nidaa Tounès, déplorent en outre que BCE ait ouvert trop grand les portes de sa formation aux anciens caciques du RCD, le parti de Ben Ali aujourd’hui dissous. Les instances dirigeantes de Nidaa Tounès font valoir de leur côté qu’au nom de l’unité du pays, un grand parti ne peut se permettre d’ostraciser une partie de la classe politique tunisienne. Seules les personnes condamnées par la justice ont été exclues des rangs de Nidaa Tounès, se défendent-elles.
Mustapha Ben Jaafar, la revanche
En 2009, le Conseil constitutionnel l’avait empêché de concourir contre Ben Ali. Le chef de file du Forum démocratique pour le travail et les libertés (Ettakatol, centre-gauche), Mustapha Ben Jaafar, aura donc à cœur de laver la rebuffade benaliste. L’actuel président de l’Assemblée constituante se présente en tout cas comme l’homme de la situation. "La Tunisie a besoin d’un président qui aime la Tunisie, qui porte la révolution dans leur cœur et qui est fidèle aux martyrs. Elle a besoin d’un démocrate capable de construire une véritable démocratie, et je pense posséder ces qualités", a-t-il lancé au moment de l’officialisation de sa candidature.
Ce radiologue tunisois de 73 ans, éphémère ministre de la Santé du gouvernement post-révolution, se pose lui aussi en rassembleur et garant de la révolution. L’homme peut en effet mettre à son crédit le fait d’avoir présidé l’Assemblée qui a adopté la nouvelle Constitution tunisienne. Ou de n’avoir jamais frayé avec le régime déchu.
Reste que Mustapha Ben Jaafar est à la tête d’un parti dont l’alliance passée avec Ennahda peut faire office de repoussoir pour nombre d’électeurs de gauche. Le candidat d’Ettakatol jure aujourd’hui que son parti n’opèrera aucun rapprochement avec les islamistes à l’issue des élections législatives et présidentielle. Un engagement qu’il avait déjà pris en 2011...
Kamel Morjane, l’ancien diplomate de l’ère Ben Ali
Il a longtemps entretenu le suspense. Pressé par son entourage de se mêler à la danse, Kamel Morjane n’a officialisé que samedi sa volonté de briguer la magistrature suprême. Al-Moubadara (l’Inititative), le parti qu’il préside, estime que cet ancien ministre de Ben Ali à "l'expérience", "le patriotisme" et "la capacité à rassembler les Tunisiens. En 2011 pourtant, sa reconduction - finalement avortée - au poste de ministres Affaires étrangères dans le gouvernement d’union nationale, avait provoqué la colère d’une grande partie de la population.
Cet ancien diplomate auprès des Nations unies, puis au Haut-commissariat pour les réfugiés (UNHCR), qui avait rejoint le gouvernement de Ben Ali en 2005, a présenté, en 2011, des excuses "aux Tunisiens "pour avoir accepté de servir" le président déchu. Tout en assurant n'avoir eu aucune responsabilité dans les dérives autoritaires du régime.
Abderrahim Zouari, au nom du Destour
Il a dû lui aussi faire son mea culpa. Lors de son dépôt de candidature, Abderrahim Zouari, 70 ans, a avoué les erreurs commises par l’ancien régime. Au lendemain de la révolution, cet ancien ministre des Transports de Ben Ali avait été inculpé pour "détournement de fonds et abus de pouvoir" avant d’être finalement libéré sur ordre de la justice.
Aujourd’hui, le champion du Mouvement destourien (qui revendique l’héritage de Habib Bourguiba, le père de la Tunisie indépendante) considère sa candidature comme un appel à la réconciliation nationale.
Les autres candidats
Militant de gauche et figure historique de l’opposition à Ben Ali, Ahmed Néjib Chebbi, 70 ans, a été investi par Al-Joumhouri, un parti né de la fusion entre plusieurs formations du centre.
Plus à gauche, le leader communiste et ancien poil-à-gratter du pouvoir benaliste Hamma Hammami, 62 ans, entend briguer la présidence sous les couleurs du Front populaire, une coalition regroupant des partis de gauche et des intellectuels.
Parmi les autres candidats désignés par une formation ou une coalition figurent l’homme d’affaires Hechmi Hamdi, pour le parti Mahaba, l’ancien propriétaire de la chaîne Hannibal TV Larbi Nasra, président de la Voix du peuple, le militant des droits de l’Homme Abderraouf Ayadi, co-fondateur du CPR aujourd’hui à la tête du Mouvement Wafa, Faouzi Saïdi (Front du 17 décembre pour le développement), le businessman Slim Riahi (Union patriotique libre), Mohamed Hamdi (Alliance démocratique), ou encore Emna Mansour Karoui (Mouvement démocratique pour la réforme et la construction), la première femme à s’être déclarée candidate à la présidentielle de novembre.
Parmi les indépendants se trouvent le juge Habib Zammali, le journaliste Safi Said, l’ancien directeur de la Banque centrale Mustapha Kamel Nabli ou encore Noureddine Hached, ancien ambassadeur, Ali Chourabi, juge à la Cour d'appel de Tunis et Kalthoum Kannou, magistrate.
Avec AFP