
Le prix de l'once d'or a dépassé la barre des 4 000 dollars. © CFOTO/Sipa USA via Reuters
Tous aux abris dorés ? L’or connaît une flambée inédite de son prix, dépassant pour la première fois la barre des 4 000 dollars (3 680 euros) l’once mercredi 8 octobre.
Un record qui constitue le point d’orgue d’une folle ruée vers l'or puisque le prix de l’once a gagné plus de 50 % en 2025. Du jamais-vu depuis la poussée inflationniste de la fin des années 1970.
Valeur refuge ?
Il n’en a pas fallu plus pour voir fleurir les références à la "valeur refuge" de l’or en période de crise. "Les investisseurs à la recherche d'une valeur refuge font exploser les prix de l’or", titre ainsi le quotidien britannique The Guardian. "Le grand retour de la valeur refuge", affirme de son côté IFA, un magazine financier en ligne.
Un réflexe sémantique qui ne surprend guère. "Une valeur refuge se définit comme un actif qui ne perd pas de sa valeur ou en gagne pendant des périodes de crise", souligne Nathalie Janson, économiste à la Neoma Business School. Et l’or se porte bien, merci.
Sauf que. Les dernières importantes ruées vers le métal précieux remontent au début de la crise sanitaire du Covid-19 et à la chute de la banque Lehman Brothers en 2008. L’appétit des investisseurs pour l’or se nourrit des difficultés économiques et financières, tandis que "cette fois-ci, l’économie américaine fait preuve de résilience, et les marchés financiers ne sont pas en crise", confirme Nathalie Janson.
Pourquoi alors cet engouement sans précédent (récent) ? Il y a d’abord une raison mécanique, liée à l’offre et à la demande. "Aujourd’hui, avec tout l’or extrait, on peut remplir un peu plus de trois piscines olympiques, alors que la demande d’or est très importante", souligne Christopher Dembik, conseiller en stratégie d’investissement pour le gestionnaire d’actifs Pictet Asset Management.
Des banques centrales friandes d'or
Le métal précieux est le plus convoité par "les banques centrales des pays émergents qui veulent augmenter la part de leur réserve en or", assure Christopher Dembik. Et elles ne sont pas mues par la peur, soutient cet analyste. "C’est une approche comptable qui les pousse depuis plusieurs années à augmenter leurs achats d’or afin d’atteindre une part de réserve en or similaire à celle des banques centrales des pays développés, c’est-à-dire 25 %", précise Christopher Dembik.
Dans le concert des banques centrales, il y en a une qui, cependant, semble avoir des raisons plus "politiques" pour acheter de l’or. En septembre, la Banque centrale chinoise a bouclé son onzième mois d’affilée d’achat d’or. "La Chine veut réduire son exposition au dollar – et surtout aux bons du Trésor américain – afin d’éviter d’être trop dépendante en cas de conflit commercial avec les États-Unis. C’est une stratégie assumée et très progressive de dédollarisation qui mène la Banque centrale chinoise à acheter beaucoup d’or car il n’y a pas vraiment d’autres alternatives au dollar", explique Christopher Dembik.
Les banques centrales ne sont pas les seules à vouloir le métal précieux. Les investisseurs institutionnels comme les fonds et banques, tout comme des particuliers, participent également à ce mouvement, souligne le Financial Times.
Dans leur cas, "il y a probablement un peu de recherche de valeur refuge car avec deux guerres en cours et un président américain dont la politique économique est imprévisible, il y a pas mal d’incertitudes qui peuvent faire peur", estime David McMillan, professeur de finances à l’université de Stirling en Écosse.
Dédollarisation ?
"L’or est certainement un actif plus sûr à posséder que le dollar en ce moment", estime ainsi Ray Dalio, l’un des investisseurs les plus influents à Wall Street et fondateur du fonds Bridgewater Associates.
La comparaison du métal jaune avec le billet vert vient du fait que "le dollar est généralement considéré comme une valeur refuge au même titre que l’or", souligne Nathalie Janson. Certains commentateurs craignent que la forte demande en or soit le signe d’un désamour pour le dollar. "On parle beaucoup de dédollarisation actuellement", reconnaît David McMillan.
L’idée est la suivante : "Les investisseurs se détourneraient du dollar en faveur de l’or car les politiques de Donald Trump fragilisent les fondements institutionnels de la démocratie nord-américaine, notamment la Fed. Et ces institutions contribuent à l’attractivité du dollar car elles donnent une image de solidité du pays", résume Nathalie Janson.
C’est la raison pour laquelle Ken Griffin, le patron du très puissant fonds d’investissement Citadel, a affirmé que l’envolée du prix de l’or "l’inquiétait fortement". Pour lui, ce serait un signe que "la confiance dans le rôle des États-Unis en tant que réserve monétaire est en train de s’éroder".
Une vision alarmiste que ne partagent pas tous les experts interrogés par France 24. "Le risque de dédollarisation existe, mais pour l’instant il n’y a pas vraiment de preuve concrète que les investisseurs vendent massivement du dollar pour acheter de l’or", assure David McMillan. "Ce que l’on remarque plutôt, ce sont des banques centrales qui se débarrassent de leurs euros plutôt que du dollar pour acheter l’or", ajoute Christopher Dembik.
Un investissement démocratique ?
Au lieu de chercher du côté d’un éventuel rejet du dollar pour expliquer la fièvre de l’or, mieux vaut prendre en compte l’appât du gain. La période actuelle illustrerait surtout "le caractère spéculatif de l’or", estime Nathalie Janson. "Plus les prix montent, plus les investisseurs veulent en profiter", précise David McMillan.
Un mouvement spéculatif facilité par une démocratisation de l’accès au marché de l’or. "Auparavant, il était compliqué de parier sur l’or, car il fallait pouvoir l’acheter et l’entreposer. Dorénavant, il y a des véhicules financiers – comme les ETF ("Exchange Traded Fund") – qui sont adossés au cours de l’or et n’importe quel investisseur, même un particulier, peut les obtenir", explique Nathalie Janson.
En 2025, plus de 65 milliards de dollars ont été investis dans des ETF adossés au cours de l’or, ce qui constitue un record absolu, souligne la BBC. Ironiquement, une partie du succès sans précédent de l’or ne vient donc pas du fait qu’il s’agit d’une valeur refuge, mais qu’il est devenu un métal moins précieux car plus populaire.