logo

Alex Salmond, le visage d'une Écosse qui rêve d'indépendance

, envoyé spécial FRANCE 24 en Écosse – Alors que les Écossais se rendent aux urnes pour un scrutin historique, le Premier ministre Alex Salmond s'est imposé comme la figure politique qui incarne le référendum. Portrait de ce farouche défenseur de la sécession.

Mercredi 17 septembre, 18 heures. La fin d’après-midi est douce à Linlithgow, en périphérie d’Édimbourg. Les rues sont calmes, la plupart des magasins ont baissé leur rideau et seuls quelques employés sur le chemin du retour brisent la tranquillité ambiante aux abords de la gare. Rien ne laisse présager que le pays est à la veille de ce qui pourrait devenir l’un des jours les plus marquants de l’histoire de l’Écosse : pas de militants et peu d’affiches ou de signes ostensibles en soutien de l’un des deux camps.

Cette petite bourgade médiévale, située sur les bords du lac du même nom, est pourtant intimement liée à ce scrutin historique. C’est ici qu’est né Alex Salmond, Premier ministre écossais, leader du Scottish National Party (SNP) et surtout l’un des porte-étendards du mouvement indépendantiste.

Si les événements tournent en sa faveur lors du vote de jeudi 18 septembre, Salmond entrera dans l’histoire de son pays, devenant l’homme qui a mené la nation écossaise à son indépendance. Et la ville de Linlithgow pourra se targuer d’avoir été le berceau d’une nouvelle figure historique, après avoir donné naissance au roi Jacques V ainsi qu'à la reine Marie Ière.

Salmond, né le 31 décembre 1954 d’un couple de fonctionnaires, a parcouru un long chemin depuis son enfance passée à Linlithgow. Le redressement qu’il a opéré au sein du SNP depuis qu’il en a pris la tête, en 1990, a été exemplaire.

Lorsqu’il arrive à la direction de la formation politique, seize ans après sa première adhésion, le chantier est vaste. Le SNP ne compte alors dans ses rangs que trois représentants au Parlement écossais. Au fil des années, il en a fait la principale force politique du pays, donnant à la cause de l’indépendance une résonnance lui permettant aujourd’hui d’envisager la victoire.

"Suffisant, trop confiant"

Ce parcours atypique a fait de lui l’une des figures les plus en vue du pays, mais aussi l’une des plus décriées, même dans les petites rues de sa ville natale.

"Je ne suis pas particulièrement fan du personnage, confie John Smith, un professeur de 45 ans né lui aussi à Linlithgow. Je sais qu’il a grandi ici, donc j’imagine que la plupart des gens de la ville l’apprécient, mais sa personnalité ne me séduit pas. Je le trouve suffisant, trop confiant…"

"Je ne l’apprécie pas du tout", renchérit cet autre homme, qui refuse de décliner son identité mais précise qu’il habite la ville depuis qu’il a quitté l’Angleterre, 15 ans plus tôt. "Je n’ai pas du tout confiance en lui, ajoute-t-il. Il multiplie les promesses mais ne répond jamais aux questions. C’est un bon orateur, mais ça ne sera pas suffisant pour recueillir ma voix. "

Si la rhétorique offensive et le tempérament combattif du leader du SNP lui ont indubitablement permis de capter l’intérêt de tous, il en paie également le prix auprès d’une certaine frange de l’électorat écossais. Ses détracteurs estiment notamment qu’il est "arrogant" et "autoritaire".

Et tandis que les sondages montrent l’indécision de la population sur le thème de l’indépendance, la cote de popularité relativement faible de Salmond pourrait finalement constituer un atout pour le camp du "Oui". Une enquête menée par YouGov la semaine passée avait dévoilé qu’à peine 38 % des personnes interrogées avaient une perception positive du Premier ministre contre 58 % d’impressions négatives.

Penchants autoritaires supposés

Personnage clivant, Salmond est également un habitué de la controverse. Récemment, il a exprimé son admiration pour "certains aspects" de la politique du président russe Vladimir Poutine. Une sortie que beaucoup avaient interprétée comme un aveu de ses penchants autoritaires supposés.

Pour autant, son style tenace, parfois proche de l’agressivité, réunit de nombreux soutiens qui estiment qu’il a grandement œuvré pour faire de la question de l’indépendance un élément majeur au sein du Royaume-Uni.

"C’est un spécialiste du débat, probablement l’un des meilleurs", estime Philip Wilson. Ce retraité de 65 ans, qui porte un badge "Aye" en soutien au camp du "Oui", a toujours habité Linlithgow. Il affirme avoir rencontré "Alec" à maintes reprises, notamment sur les parcours de golf, l’un des passe-temps préférés du leader du SNP.

"Pourquoi [le Premier ministre britannique] David Cameron et tous les autres refusent-ils de venir ici pour débattre avec lui ? Parce qu’ils ont peur de lui, tout simplement", explique-t-il, tout en sirotant une pinte de bière au Football and Cricketers Arms, un pub de la rue principale de Linlithgow.

"Salmond ne doit pas cristalliser le débat"

Philip Wilson estime cependant que la question de la personnalité de Salmond ne doit pas venir polluer le débat autour de l’indépendance.

"Il n’est que l’une des têtes de proue de la campagne pour le ‘Oui’, explique-t-il. Si les gens ne l’apprécient pas, ils peuvent le sanctionner aux prochaines élections générales. Mais sur ce coup, Salmond ne doit pas cristalliser le débat. Il y a beaucoup d’autres visages qui portent le message du mouvement indépendantiste, comme par exemple Nicola Sturgeon."

Une position également partagée par le docteur Alan Convery, expert en politique écossaise à l’université d’Édimbourg. "Le mouvement de l’indépendance est un mouvement très vaste qui réunit des soutiens de part et d’autre du spectre politique national, de la gauche à la droite en passant par les écologistes, explique-t-il. Ils insistent tous sur la nécessité de se défaire de l’amalgame entre indépendance et le couple Alex Salmond / SNP."

Il reconnaît néanmoins que peu de personnalités politiques écossaises seraient parvenues à incarner la cause de l’indépendance comme Salmond l’a fait. "Il a été membre du Parlement écossais, a mené le SNP où il est aujourd’hui et occupe le poste de Premier ministre depuis 2007. Il y a peu de personnalités qui peuvent revendiquer le statut de poids lourd de la politique écossaise, et Salmond est assurément l’un d’eux. Et il est sans nul doute plus populaire que les représentants politiques de Westminster."

Mais le plus grand défi de Salmond pourrait finalement se trouver devant lui. Si l’Écosse décidait de se prononcer en faveur de l’indépendance, le pays entamerait un long périple jalonné d’obstacles. Salmond devra notamment résoudre les questions de la monnaie, de la dette nationale ou encore de l’adhésion à l’Union européenne.

"Va-t-il faire le choix de tirer sa révérence [après le référendum] et laisser quelqu’un d’autre prendre les rênes pour observer le pays avec du recul, ou restera-t-il pour mener le processus jusqu’à l’indépendance en 2016 et finir ce qu’il a commencé ?", se questionne le docteur Convery. "Ce sera, en tout les cas, une situation intéressante à suivre."