Près de 1 000 milliards d’euros dorment dans les comptes en banque des entreprises européennes, du Moyen-Orient et d’Afrique. C’est un montant sans précédent, d’après le cabinet Deloitte qui a établi, lundi, ce constat.
Les entreprises européennes, du Moyen-Orient et d’Afrique, sont assises sur un trésor de guerre sans précédent de 936 milliards d’euros, et les sociétés françaises sont parmi les moins enclines à dépenser cet argent pour le réinvestir. Ce constat, établi par le cabinet d’études Deloitte dans un rapport rendu public lundi 15 septembre, est passé largement inaperçu. Il en dit pourtant long sur l’état d’esprit des entrepreneurs. Surtout à l’heure où les annonces sur une reprise de la croissance mondiale se multiplient et où, en France, le Medef pointe du doigt les rigidités du marché du travail comme principal frein à la sortie de la crise.
Ce pactole qui sommeille sur les comptes en banque de ces sociétés est 40 % plus élevé qu’avant le début de la crise en 2007. Ce sont surtout les grandes et très grandes entreprises qui jouent aux écureuils puisque les trois quarts de ces fonds sont détenus par 17 % des sociétés.
Rien d’anormal à ce que les groupes se constituent un bas de laine le plus solide possible lorsque l’économie va mal. Mais “c’est plus difficile à expliquer maintenant que les entreprises ont renforcé leur bilan et se sont restructurées”, souligne le magazine économique “Challenge”.
Mauvaise nouvelle pour l’économie
Difficile à comprendre mais pas impossible. “Cela reste de l’épargne de précaution, notamment en Europe, où les perspectives à court terme ne sont quand même pas très bonnes”, explique Pascal de Lima, chef économiste au cabinet de conseil Economic Cell. Mais il n’y a pas que le pessimisme des entreprises. “Au niveau mondial, la plupart des secteurs porteurs, comme les nouvelles technologies, sont en phase de transition et de consolidation et les entreprises préfèrent attendre pour savoir où investir”, poursuit ce spécialiste.
La réticence des entreprises européennes à réinvestir leur trésor de guerre a beau s’expliquer, elle n’en reste pas moins une mauvaise nouvelle pour l’économie en général. “Les investissements d’aujourd’hui sont les emplois de demain”, professait déjà en 1974 l’ex-chancelier allemand Helmut Schmidt. “C’est clair que les entreprises contribuent à l’absence de croissance en gardant cet argent de côté”, reconnaît Pascal de Lima.
Cette donnée est totalement absente du débat actuel autour des moyens pour inverser la courbe du chômage en France. Le Medef en appelle exclusivement à des réformes en série du droit du travail, quitte à avancer des propositions - comme la suppression de deux jours fériés - qui ont suscité un tollé. Pourtant, les grands groupes du CAC 40, comme Total ou Airbus, ont plus de cinq milliards d’euros sur leur compte en banque.
Priorité aux actionnaires
En fait, les entreprises françaises sont parmi les plus frileuses d’Europe. “C’est un cercle vicieux car les entreprises attendent que les pouvoirs publics entreprennent les réformes structurelles qu’elles jugent nécessaires avant d’investir, mais en renforçant leur épargne, elles ne créent pas un climat propice à un redémarrage économique”, résume Pascal de Lima. Seules les sociétés des pays scandinaves sont encore moins portées sur l’investissement, d’après le rapport de Deloitte.
Mais les entreprises françaises ne font pas que s'asseoir sur un pactole de plus en plus important. Elles pensent aussi beaucoup plus fort à leurs actionnaires que dans la plupart des autres pays européens. Elles sont 11 % à vouloir utiliser dans les douze prochains mois les fonds qu’elles ont épargnés uniquement pour augmenter les dividendes ou racheter des actions. C’est bien plus, par exemple, qu’en Allemagne où seulement 3 % des entreprises considèrent que la priorité est de mieux rémunérer les actionnaires. Voilà une comparaison que le Medef, qui a pourtant le regard souvent tourné vers le modèle allemand, ne s’est pas empressé de relever.