
correspondant à Édimbourg – Alors que l’Écosse doit se prononcer sur son indépendance le 18 septembre, le oui a récemment atteint un record de 47 % dans les sondages. Mais qui sont ces indépendantistes et quelles sont leurs motivations ?
"Pendant plus de la moitié de ma vie, l’Écosse a été gouvernée par des partis que nous n’avions pas élu à Westminster (le siège du Parlement britannique, NDLR). "Ce grief, décliné sur tous les tons par le Premier ministre écossais indépendantiste Alex Salmond, constitue l’argument clé des nationalistes. Volontiers mordant, l’homme qui domine de la tête et des épaules la vie politique écossaise, le formule souvent aussi de façon plus ironique, en référence à deux célébrités locales répondant au nom de Tian Tian et Yang Guang : "Il y a plus de pandas au zoo d’Édimbourg que de députés conservateurs écossais à Westminster".
Le nationalisme du Scottish National Party (SNP), au pouvoir à Édimbourg depuis 2007, n’a rien à voir avec celui qu’on retrouve sous les mêmes appellations en France, avec le Front National, ou au Royaume-Uni, avec le UK Independence Party (UKIP). Ici, pas de discours anti-immigrés, et une position bien plus pro-européenne qu’à Londres. L’indépendantisme écossais porté par le SNP, un parti de centre-gauche, découle avant tout d’une opposition politique avec les gouvernements élus à Londres et de la remise en cause du rôle de l’État amorcé lors des années Thatcher au Royaume-Uni.
"L’Écosse et l’Angleterre divergent de plus en plus", diagnostique Peter Lynch, professeur de Sciences politiques à l’université de Stirling, en Écosse. "Après la Seconde Guerre mondiale, l’Écosse a bénéficié de l’État providence mis en œuvre au Royaume-Uni, en particulier le système de santé. L’Écosse l’a toujours et y est attaché, tandis que l’Angleterre l’aime de moins en moins et le réduit de plus en plus", poursuit-il.
Le soutien à l’indépendance a progressé lentement depuis deux ans que la campagne a commencé, partant d’un tiers de la population, son niveau historique. Jusqu’à peu, la victoire semblait encore hors de portée. Mais le 1er septembre, un sondage de l’institut YouGov a provoqué la stupeur au Royaume-Uni, enregistrant un bond de 4 points du oui, mesuré à 47%, son record historique, contre 53% pour les partisans du maintien de l’Union.
Pour bien comprendre le sentiment indépendantiste, il faut se rappeler que l’Écosse est une nation, pas une région ni une province. Après l’Union des Parlements anglais et écossais, en 1707 (royaume de Grande-Bretagne), celle-ci a toujours conservé son propre système juridique, éducatif, et son Église. Marginal après l’Union, en raison notamment des nombreuses opportunités économiques offertes par l’Empire britannique, le nationalisme écossais s’est réveillé au siècle dernier. Ce courant bénéficiera, en particulier, des mandats successifs de Margaret Thatcher, Premier ministre conservateur de 1979 à 1990, que les Écossais vont détester.
Quoiqu’on puisse penser de l’héritage de la Dame de fer, ses politiques furent particulièrement mal vécues en Écosse, où les fermetures de mines et d’aciéries laissèrent sur le carreau des milliers d’employés. Margaret Thatcher, ainsi que son successeur John Major (1990-1997), ont littéralement anéanti le parti conservateur en Écosse. Aux quatre élections parlementaires britanniques organisées depuis dix-sept ans, les conservateurs n’ont à chaque fois gagné qu’un seul siège voire aucun, sur 59 circonscriptions ! Cela n’empêchera pas le conservateur David Cameron de devenir le Premier ministre britannique du Royaume-Uni en 2010. Un mandat vécu comme une injustice en Écosse.
"It is Scotland’s oil"
Ross Greer est un jeune militant des Verts, l’autre parti écossais en faveur de l’indépendance. Au siège de la campagne "Yes Scotland", à Glasgow, il explique que "l’argument qui fonctionne le mieux, c’est que l’indépendance garantit de ne plus avoir de gouvernement conservateur". Ironie de l’histoire, Margaret Thatcher fût par ailleurs la première premier ministre à bénéficier de l’argent du pétrole, extrait, à partir des années 70, pour l’essentiel de la partie écossaise de la mer du Nord, et directement perçue par le Trésor britannique. "It is Scotland’s oil", s’étranglaient à l’époque les nationalistes. Le pétrole, et ce slogan, s’avèreront un carburant efficace du nationalisme écossais.
La recréation d’un parlement écossais aux pouvoirs limités à Edimbourg en 1999, conformément à une promesse de campagne du travailliste Tony Blair, permit également au SNP de gagner une stature, en grande partie grâce au talent politique de son patron Alex Salmond. Le premier ministre écossais avait un objectif de "long terme", souligne Peter Lynch, "transformer le SNP en un parti de gouvernement crédible, défier le Labour et le remplacer. Les 20 années de recentrage du Labour sous Tony Blair et Gordon Brown lui ont donné de l’espace". La guerre en Irak voulue par Tony Blair, très impopulaire en Ecosse, abîma aussi beaucoup le parti sur place.
En 2007, le SNP termina en tête des législatives écossaises et put former un gouvernement de coalition. Il mit en œuvre, sur les domaines relevant de sa compétence, des politiques appréciées sur place et contrastant avec celles décidées par Westminster : maintien du système de santé dans le public (à contrario de l’Angleterre, où le secteur privé en gère une part croissante), gratuité des médicaments délivrés sur ordonnance, maintien de la gratuité des universités (dont les frais augmentent en Angleterre), promotion des énergies renouvelables.
La stratégie paya. En 2011, il remporta un véritable triomphe en gagnant une majorité absolue au parlement écossais, profitant de l’effondrement des Lib-Dem, le parti centriste coupable du péché, mortel en Ecosse, de s’être allié aux conservateurs de David Cameron à Londres. Ce mandat lui permit de négocier avec Londres l’organisation d’un référendum, organisé le 18 septembre.
Franche, parfois âpre, cette campagne a pour l’essentiel évité l’écueil d’un nationalisme étriqué, anti-anglais. Au référendum, tous les habitants de l’Écosse, originaires du Royaume-Uni, d’Union Européenne ou du Commonwealth, pourront voter – au contraire des Écossais n’y habitant plus. Christian Allard est une singularité en Écosse, député indépendantiste au parlement d’Edimbourg, mais… français. Il résume ce qu’il voit comme l’enjeu de la campagne : "Ce n’est pas un référendum sur les identités, mais sur une direction de société.L’identité écossaise est forte, on est très patriotique, mais elle n’est pas refermée sur elle-même, on est prêt à la partager".
Il n’est pas non plus rare de rencontrer en Écosse des Anglais prêts à voter pour l’indépendance, comme Katie Forsyth, étudiante à Glasgow. "Je viens du nord de l’Angleterre, mais je me sens plus proche de l’Écosse. Les Anglais, dès qu’ils sont au sud de Birmingham, nous regardent de haut. Je ne suis pas encore sûre, mais mon cœur dit oui. Ici, nous pouvons être sûrs que la classe politique va faire ce qu’elle pense être bon pour l’Écosse."