La Russie est accusée d'avoir envoyé jeudi des soldats russes en Ukraine alors que la veille, Vladimir Poutine semblait prôner l'apaisement. Des faits qui mettent en lumière le double jeu de Moscou, selon Charles Urjewicz, spécialiste de la Russie.
Depuis quelques jours, la situation ukrainienne est pour le moins confuse – si ce n’est incompréhensible. Alors que le président russe a multiplié les gestes d’apaisement en acceptant, notamment, de rencontrer le chef de l’État ukrainien Petro Porochenko, mercredi, Kiev et l’Otan ont affirmé le lendemain que des soldats russes avaient franchi la frontière.
"Bien plus d'un millier de soldats russes combattent actuellement en Ukraine", a déclaré, jeudi 28 août, un haut responsable militaire de l'Otan. "Ils soutiennent les séparatistes, se battent avec eux" contre les forces armées ukrainiennes, a ajouté ce haut-gradé.
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Des déclarations qui cadrent mal avec les intentions du président russe énoncées la veille. "La Russie […] fera tout pour soutenir [un] processus de paix, s'il a lieu", a-t-il assuré lors de sa rencontre avec Petro Porochenko. "Nous avons discuté de la nécessité de mettre un terme aux effusions de sang aussi vite que possible", a ajouté le président russe, réaffirmant qu’aucun soldat russe n’avait traversé la frontière – sauf par "accident".
Le "cynisme" de Poutine
Sur le terrain, pourtant, la situation accrédite plutôt la version de l’Otan. Les forces ukrainiennes, qui avaient multiplié les succès militaires et accentué leur pression sur les villes de Louhansk et Donetsk – deux villes aux mains des séparatistes - ont subi un soudain revers jeudi, en perdant coup sur coup les villes frontalières de Novoazovsk et Savour-Mohila.
Le président Vladimir Poutine joue "comme à son habitude" sur les deux tableaux : diplomatique et offensif, indique Charles Urjewicz, historien et spécialiste de la Russie, contacté par France 24. "Le cynisme de Vladimir Poutine n’est plus à démontrer. Sur le plan officiel, il sert la main à Porochenko pour prouver sa bonne volonté à la communauté internationale, de l’autre, il joue la carte de l’allié des séparatistes pour affaiblir l’Ukraine", explique-t-il.
C’est en effet "l’éternelle obsession" du président russe, affirme Charles Urjewicz : affaiblir son voisin. Car la Russie ne tolère en aucun cas un éventuel rapprochement de cette ancienne république soviétique avec l’Europe occidentale. Moscou, qui n’a jamais vraiment accepté l’indépendance de son voisin, considère, à tort ou à raison, que Kiev est le berceau de la nation russe. "Poutine veut maintenir le pays dans le giron moscovite. Et quoi de mieux pour empêcher une alliance avec l’Ouest que de déstabiliser politiquement le pays ? Il fera tout pour bloquer la situation", ajoute Charles Urjewicz.
"Une carte à jouer maintenant"
Dans cette logique, l’action des séparatistes - qu’elle soit coordonnée ou non avec Moscou – sert donc les intérêts de la Russie. "Tout le monde se demande si Poutine a vraiment envoyé des soldats pour aider les rebelles. Mais qu’il soit l’instigateur ou non de cette politique offensive, Poutine a tout intérêt à laisser faire parce que la situation tourne - pour l’instant - en sa faveur."
Les séparatistes étendent en effet leur champ d’action. Ils viseraient même la ville de Marioupol, à en croire les déclarations de Alexander Zakhartchenko, le Premier ministre de la république autoproclamé de Donetsk. "Toutes ces victoires pro-russes confortent la politique de Poutine qui veut faire passer l’Ukraine pour un pays faible, dans l’incapacité de s’auto-gérer". Et selon "Le Monde", cette stratégie russe porte ses fruits. "L’effort de guerre épuise l’économie ukrainienne, et le processus de réformes structurelles, exigées par le FMI et l’UE, est au point mort", peut-on lire dans l’éditorial du jeudi 28 août.
Mais Poutine a-t-il à ce point confiance dans sa politique pour snober les mises en garde et les menaces de sanctions de la communauté internationale ? "Il est de la responsabilité des dirigeants européens de gérer [la situation en Ukraine], avec fermeté et unité, sans se laisser abuser par les ruses de M. Poutine", poursuit "Le Monde".
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"Qu’a-t-il vraiment à craindre ?, s’interroge, de son côté, Charles Urjewicz. Oui, c’est un jeu dangereux parce qu’on ne sait pas avec certitude si Poutine a toutes les cartes en main. Mais le chef de l’État russe part de la constatation que l’Europe est en pleine crise économique, que les États-Unis sont occupés en Syrie et en Irak. Il sait pertinemment que l’Otan n’interviendra jamais. Il se dit qu’il a une carte à jouer. Et qu’il doit la jouer maintenant", conclut l'historien.