
La démission du gouvernement de Manuel Valls a sonné comme un coup de tonnerre au sein de la majorité. Pour le politologue Thomas Guénolé, si la scission du PS n'est pas encore d'actualité, cette crise rebat les cartes de l'offre politique à gauche.
Frapper vite et fort. En annonçant, lundi 25 août, la démission du gouvernement au lendemain des propos tenus par les ministres Arnaud Montebourg (Économie) et Benoît Hamon (Éducation nationale) contre la politique économique menée par Paris, le couple Hollande-Valls a souhaité tordre le cou à l’image d’un exécutif faible, indécis et bien trop accommodant avec ses turbulentes ouailles. Cependant faire preuve d'autorité peut avoir un prix.
À moins d’une semaine de son université d’été à La Rochelle, le Parti socialiste (PS) court effectivement le risque de voir son aile gauche tenter de s’émanciper de sa tutelle. Dépourvus de chef, les députés "frondeurs", qui n’ont eu de cesse de critiquer la rigueur gouvernementale, prendront-ils clairement leur distance avec leur formation? Arnaud Montebourg, aujourd’hui "libéré" de ses obligations ministérielles, se donnera-t-il les moyens de devenir leur porte-voix ? Quitte à provoquer l’implosion de la gauche ?
Pour Thomas Guénolé, politologue et professeur à HEC, si le glas n’a pas encore sonné pour le PS, cette crise rebat sérieusement les cartes de l’offre politique à gauche.
France 24 : Le président François Hollande et son Premier ministre Manuel Valls avaient-il d’autres choix que de remanier le gouvernement ?
Thomas Guénolé : Plusieurs solutions se présentaient à eux. Pour le couple Hollande-Valls, la question centrale était de savoir s’il continuait la même politique ou s'il s’engageait vers celle prônée par Arnaud Montebourg et l’aile gauche du Parti socialiste. En clair, choisir entre une politique économique de l’offre, une politique budgétaire d’austérité, qui est la ligne actuelle, ou une politique de relance keynésienne (favorisée par de grands travaux publics et une stimulation de la consommation des ménages, qui suppose des mesures protectionnistes). À partir du moment où Hollande et Valls décident de maintenir le cap, ils décident donc de faire le ménage et d’avancer en pack serré.
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À cela s’ajoute le fait que Valls s’inscrit dans une logique de fermeté. Si quelqu’un s’oppose aux principes hiérarchiques au sein du gouvernement, il lui coupe la tête. Il a voulu frapper fort parce que, jusqu’à présent, il ne s’agissait que d’une posture. Si Arnaud Montebourg est débarqué du ministère de l’Économie, comme cela devrait être le cas, ce serait la première fois que le Premier ministre prendrait une décision courageuse et risquée politiquement.
Quelles conséquences immédiates cette scission va-t-elle avoir sur la majorité ?
Cette crise va fragiliser encore un peu plus la majorité à l’Assemblée nationale, qui est une majorité relative. La condition pour considérer qu’il y ait une majorité dans l’hémicycle, c’est l’adoption de la loi de finances. Or, aujourd’hui, rien ne garantit qu’elle obtienne la majorité absolue. Pour obtenir une majorité, même relative, il faudrait qu’un nombre suffisant de "frondeurs" ne votent pas contre, et que suffisamment de centristes s’abstiennent également. Si la loi de finances ne passe pas, la logique des institutions veut que l’Assemblée nationale soit dissoute.
Cette crise politique au sein de la majorité peut-elle faire imploser la famille socialiste ?
L’implosion du Parti socialiste, on l’annonce depuis le congrès d’Epinay en 1971, c'est-à-dire depuis sa fondation. On ne peut croire en ce scénario tout simplement parce qu’une écrasante majorité des élus socialistes, qui font une carrière politique, au sens d’une carrière professionnelle, dépendent de l’étiquette du parti pour se faire élire. Sans cette étiquette, ils perdent les élections. Vous n’allez donc pas tuer la poule aux œufs d’or. Il y a des limites à l’autodestruction.
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Le réel risque pour l’exécutif est de voir l’aile gauche du PS se renforcer considérablement. Lors du prochain Congrès statutaire du PS, dont on ne sait encore quand il se déroulera, une mention unitaire de l’aile gauche peut, à mon avis, grimper jusqu’à 40 %. Ils étaient à 30 % au dernier pointage, lors de l’élection du nouveau secrétaire général du PS, Jean-Christophe Cambadélis. Et c’était avant la gamelle électorale des municipales, à l’issue de laquelle de nombreux représentants socialistes se sont retrouvés au chômage...
Jusqu’où peut aller Arnaud Montebourg ?
Arnaud Montebourg peut aller jusqu’à une candidature dissidente pour la présidentielle 2017. À l’heure actuelle, les statuts du PS prévoient toujours que le candidat socialiste à l’élection présidentielle soit désigné par une primaire. Donc, sauf modification des statuts d’ici là, il y aura une primaire socialiste. Dans cette perspective, Arnaud Montebourg, en tant que martyr de l’"autre politique possible", se retrouve en position de force pour devenir le meilleur challenger possible contre François Hollande ou le candidat du gouvernement sortant quel qu’il soit.
Cécile Duflot, Jean-Luc Mélenchon et maintenant Arnaud Montebourg… Les déçus de François Hollande ne peuvent-ils pas envisager une alliance en vue d’ouvrir une nouvelle voie à gauche ?
C’est dans l’air depuis trois ou quatre mois. Des gens y pensent au Front de gauche, des gens y pensent à Europe Écologie-Les Verts (EELV), des gens y pensent parmi les "frondeurs" du PS, mais ils ne sont pas majoritaires sur cette ligne. EELV, qui n’a pas encore fait le choix de la politique économique que le parti entend soutenir, ne peut franchement pas embrasser l’idée de pénétrer dans l’arc d’une autre gauche. Du côté du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon est en pleine rédaction d’une VIe République. L’idée est de mettre d’abord un programme commun avant de négocier des accords.
Quant aux "frondeurs", certains en sont encore à se demander s’ils vont voter contre la ligne politique de Manuel Valls. Ils sont donc encore loin d’enclencher une scission partielle du PS.
Scission au sein de la majorité, crise à l’UMP, le principal parti d’opposition, montée du Front national… Ne sommes-nous pas en train d’assister à une refondation de l’offre politique en France ?
Ce qui se passe actuellement à gauche est un soubresaut supplémentaire au sein d’un système en fin de cycle. Nous vivons sur un modèle politique, économique et social qui a été celui des "trente glorieuses" et qui, parce qu’il n’a jamais été modifié, a continué de fonctionner de moins en moins bien. Des classes sociales ont été laissées au bord de la route et l’endettement ne cesse d’augmenter. Cela fait maintentant trois, quatre ans que la faillite s’accélère parce que le système politique, économique, social et fiscal est en faillite.
Reste que ce n’est pas la France qui est en train de mourir mais une France. Les politiques doivent repenser ce modèle et redéfinir notre identité collective. La remise à plat du système sera, je pense, la conséquence des élections présidentielle et législatives de 2017. Les politiques seront amenés à définir les stratégies à conduire dans le pays. Malheureusement en 2012, ce débat avait été évacué au profit de discussions sur des mesures gadgets.
Mais ce qui se passe aujourd’hui à gauche est une fracture sur l’orientation stratégique du gouvernement. Voir cette crise sous l’angle d’une guéguerre entre Valls et Montebourg, c’est voir le problème par le petit bout de la lorgnette. Il ne s’agit pas ici d’un conflit de personnes, c’est plus profond que cela. C’est le débat entre le "oui" et le "non" à la Constitution européenne, au référendum de Maastricht, c’est le débat entre les partisans et les contempteurs du tournant de la rigueur de 1983. En clair, c’est le débat éternel entre les deux gauches qui continue…
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