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Présidentielle turque : le triomphe annoncé de Recep Tayyip Erdogan

Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan est assuré de remporter, dimanche, la première élection présidentielle au suffrage universel jamais organisée en Turquie. Les bureaux de vote ont fermé leurs portes à 17h locales (14h GMT).

"Durmak yok !" Ce slogan de campagne ("Pas question de s'arrêter") est le cri de guerre du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, candidat à l'élection présidentielle du dimanche 10 août.

Quelque 53 millions d'électeurs turcs se sont rendus aux urnes dimanche, de 8h à 17h locales (5h à 14h GMT) pour un scrutin qui, pour la première fois, s'est déroulé au suffrage universel direct. Erdogan en est incontestablement le grand favori.

L'homme politique le plus clivant de Turquie, adulé par ses partisans et honni par ses opposants, est donné gagnant dès le premier tour avec des intentions de vote oscillant entre 51 et 55 % des voix, d’après les dernières enquêtes d'opinion sorties le mois dernier. La dernière en date, publiée jeudi par la société privée Konda, lui accorde même 57 % des voix.

Les deux autres candidats, Ekmeleddin Ihsanoglu, du Parti républicain du peuple (CHP, héritier du kémalisme), et Selahattin Demirtas, du Parti démocratique du peuple (HDP, principale force pro-kurde), sont relégués très loin derrière dans cette course au quinquennat.

Une résistance à toute épreuve
Accusé d’islamiser la Turquie et de dérives autoritaires, le chef du gouvernement islamo-conservateur, au pouvoir depuis 2003, est un homme tenace et ambitieux. Rien ne semble en mesure de l’empêcher de franchir la porte du Palais Cankaya, la résidence présidentielle.
En l’espace d’un an, Recep Tayyip Erdogan a en effet résisté à une fronde antigouvernementale en juin 2013, à des scandales de corruption qui ont éclaboussé son entourage, au drame de la mine de Soma qui s’est soldée par la mort de plus de 300 personnes en mai 2014, et à la lutte sans merci que lui livre son ancien allié, le prédicateur musulman Fethullah Gulen.
Malmené tout au long de l’année, il avait répliqué par des mesures autoritaires. Purges au sein des milieux judiciaires et policiers, renforcement de son emprise sur les réseaux sociaux… Le tout lui a valu une pluie de critiques, internes et internationales.

Erdogan mise sur ses électeurs et son bilan économique
Droit dans ses bottes, il a toujours été convaincu qu’aucun homme politique n’avait le charisme et la légitimité pour pouvoir contester son leadership. Certain de parvenir à ses fins dans un pays majoritairement conservateur et nationaliste, et de faire basculer son pays dans un système présidentiel à coups de réformes qu’il entend mener après sa victoire annoncée, Recep Tayyip Erdogan sait qu’il peut compter sur la mobilisation de ses électeurs.
Ces derniers, qu’ils soient issus des régions rurales ou des rangs islamo-conservateurs, ont déjà offert au Parti de la justice et du développement (AKP), son parti issu de la mouvance islamiste, huit victoires électorales consécutives depuis 2002. La dernière en date, enregistrée lors des municipales de mars 2014, et qui avait pris des allures de référendum autour de la personne même du Premier ministre, fut d’ailleurs un triomphe. Avant les élections, le chef du gouvernement avait annoncé qu’il était prêt à abandonner la politique si l’AKP n’arrivait pas en tête du scrutin.
Le candidat "du peuple" autoproclamé peut également se targuer d’un bon bilan économique, puisque la Turquie a enregistré la plus forte croissance de tous les pays de l’OCDE entre 2002 et 2012.
Campagne populiste et dérapages ethniques
Fort de ces résultats, il n’a pourtant pu s’empêcher de railler ses concurrents durant sa campagne électorale, en multipliant les allusions ethniques et confessionnelles. Reprochant tantôt à l’un de ses adversaires d’être né en Égypte et de ne pas connaître l’hymne national turc, et se moquant à demi-mots d’un autre de confession alévie, une minorité musulmane progressiste. "Kiliçdaroglu, toi, tu peux être alévi. Je te respecte. N'hésite pas, n'aie pas peur. Affirme-le sans crainte. Moi, je suis sunnite", lui avait-il lancé.
Pis, il a déclenché une polémique sur le sujet sensible qu’est la question arménienne, en assimilant à une insulte le fait que ses rivaux lui aient attribué des origines arméniennes. "Certains ont dit que j'étais d'origine géorgienne. Et, encore plus déplaisant, ils ont prétendu, excusez-moi, que j'étais arménien. Autant que je le sache de mon père et de mon grand-père, je suis turc", a-t-il récemment lancé lors d'un entretien télévisé. Une provocation de plus pour celui qui, depuis qu’il est au pouvoir, a exacerbé les clivages sociaux et culturels entre traditionalistes conservateurs et laïcs pro-occidentaux.
Assuré de l’emporter dimanche, Recep Tayyip Erdogan ne se contentera pas pour autant d’un seul mandat de cinq ans. Son programme de grands travaux baptisé "Objectif 2023", qui comprend les chantiers d’un troisième pont sur le Bosphore, d’un nouvel aéroport à Istanbul et d'un train à grande vitesse reliant Ankara à Istanbul, l’indique implicitement.
En effet, l’homme qui entend placer son pays parmi les dix premières économies mondiales se rêve à la présidence jusqu'en 2023, date marquant le centenaire de la Turquie moderne fondée sur les ruines de l'Empire ottoman par Mustafa Kemal Atatürk. Le dernier homme fort du pays, auquel il rêve de succéder aux yeux de l’histoire.