
L’Argentine, en défaut de paiement depuis jeudi, pointe du doigt deux fonds spéculatifs, NML et Aurelius. Ils dépendent du très influent financier américain Paul Singer. Qui sont donc ces "fonds vautours" qui font plier ce pays?
Cette fois-ci, ce ne sont pas des finances publiques en déroute, comme en 2001, qui ont poussé l’Argentine au défaut de paiement. Ce sont deux fonds spéculatifs, NML et Aurelius, qui ont mis Buenos Aires à genoux.
Parce que le gouvernement argentin n’a pas réussi à trouver un accord avec ces fonds qui lui réclament 1,3 milliard de dollars (970 millions d’euros) avant fin juillet, le pays n’a pas pu payer d’autres créanciers dans les temps et se retrouve donc en défaut de paiement pour la deuxième fois en 13 ans.
Pour la présidente argentine, Cristina Kirchner, et une partie de l’opinion, NML et Aurelius ne sont rien d’autres que des fonds "vautours", des rapaces qui ne voient que leur profit sans penser aux conséquences pour le pays et sa population. Daniel Pollack, le médiateur américain entre l’Argentine et ses deux créanciers, a d’ailleurs déclaré jeudi 31 juillet : "La vraie victime, au bout du compte, ce sera l'Argentin de la rue".
Mais NML et Aurelius ne sont pas que des "bad guys" nord-américains qui s’en prennent aux pauvres sud-américains. Explications.
Derrière Aurelius et NML, un seul fonds d’investissement. En réalité, le combat des chefs ne se joue pas entre l’Argentine et deux fonds spéculatifs, mais entre l’Argentine et Elliott Management. C’est ce fonds d’investissement seul qui tire les ficelles de toute cette histoire. NML Capital est l’une de ses filiales, basée dans les îles Caïmans, et Aurelius est géré par l’avocat Mark Brodsky, un salarié d’Elliott Management.
Sa spécialité est l’achat de dettes "décotées". C’est-à-dire qu’il rachète à bas prix des créances détenues par des investisseurs craignant de ne pas être remboursés. Ensuite, il met en branle l’appareil judiciaire pour forcer les débiteurs, États souverains ou sociétés privées, à rembourser leurs dettes au prix fort.
C’est ce qui s’est passé avec l’Argentine à qui Elliott Management a racheté, à travers NML et Aurelius, des bons du trésor entre 2002 et 2008 à d’autres créanciers. Mais, Elliott Management s’en était aussi pris, par le passé, au Pérou et la République du Congo.
Dans ces deux cas, le fonds a fait de très bonnes affaires. Il a récupéré 58 millions de dollars du Pérou en 1998 pour des titres qu’il avait payés 11 millions de dollars deux ans plus tôt. Idem en République démocratique du Congo : après avoir acheté pour 10 millions de dollars de dette du pays, il le fait condamner en 2005 à payer 127 millions de dollars. Après plusieurs années de résistance, la République démocratique du Congo trouve, en 2008, un accord avec Elliott Management et lui verse un montant, qui n’a pas été rendu public.
Cette pratique de s’en prendre à des pays en grande difficulté financière a souvent été critiquée. "Je déplore les activités de ces 'fonds vautours' qui cherchent à se faire de l’argent sur le dos de la dette des pays les plus pauvres", avait ainsi affirmé l’ancien Premier ministre britannique Gordon Brown en 2007. Pour bon nombre d’ONG, l’argent gagné par Elliott Management est autant d’argent perdu pour le développement et l’assainissement des finances de ces États.
Mais d’autres trouvent que ces fonds spéculatifs sont nécessaires. "Sans eux, nous n’aurions probablement jamais eu connaissance de certaines affaires de corruption", affirmait en 2007 au "New York Times" Brice Mackosso, qui milite pour une plus grande transparence financière en République démocratique du Congo. Durant les procès, Elliott Management produit souvent des documents jetant une lumière peu flatteuse sur les pratiques des pouvoirs en place.
Le fonds d’investissement affirme, d’ailleurs, que ses procès sont avant tout des croisades contre la corruption et la mauvaise gestion financière. "Ceux qui militent pour l’effacement de la dette de certains pays devraient reconnaître que les seuls qui en profitent réellement sont souvent des gouvernements corrompus, et il faut utiliser tous les moyens pour y mettre un terme afin de favoriser un vrai développement économique de ces pays", a expliqué un porte-parole d’Elliott Management au site "Foreign Policy" en 2007.
Derrière Elliott Management, un homme. Elliott Management, c’est avant tout Paul Singer, une star jusqu’ici discrète de Wall Street. Cet Américain de 69 ans a créé son fonds d’investissement en 1977 en empruntant, à sa sortie d’Harvard, 1,3 million de dollars à des amis et à sa famille. Trente-sept ans plus tard, Elliott Management - l’un des plus anciens fonds d’investissement des États-Unis - gère 24 milliards de dollars.
Paul Singer, à la tête d’une fortune personnelle d’environ 1,5 milliard de dollars, incarne donc à merveille la "success-story" à l’américaine. Il est dépeint comme un travailleur acharné et un homme d’affaires sans scrupule. Le portrait classique des plus grandes personnalités de Wall Street, en somme.
Mais Paul Singer est loin de n’être que le cliché vivant du financier aux dents longues. Pour ses détracteurs, il est avant tout un multimillionnaire très politisé. Ce conservateur n’est jamais très loin du parti républicain américain. Il a été l’un des principaux donateurs de la campagne de George W. Bush en 2005, et il a poussé pour que l’une des figures emblématique du Tea Party (l’aile dure de la droite américaine), Paul Ryan, soit le colistier de Mitt Romney en 2012.
Mais l'homme a beau être un conservateur convaincu, il n'hésite pour autant pas à soutenir des causes plus progressistes. Paul Singer est, ainsi, un défenseur acharné des droits des homosexuels. Il est considéré comme l’un des principaux artisans de la loi de 2011, autorisant le mariage gay dans l’État de New York. Des prises de position largement influencées par son fils, qui a épousé son compagnon en 2009.
Même économiquement, il sait prendre ses distances avec le corpus idéologique de la droite américaine. Il s’est ainsi fait remarquer en 2009 dans des éditoriaux publiés dans le "Wall Street Journal" dans lesquels il défendait une plus grande régulation des marchés financiers. Paul Singer y accuse ses amis de Wall Street d’avoir fait trop d’erreurs de jugement qui, en l’absence de tout contrôle étatique, ont déclenché la crise des subprimes.