
Nombreux sont les politiques français qui, à droite comme à gauche, invoquent les mânes de Jean Jaurès. À l'occasion du centième anniversaire de l’assassinat de cette figure du socialisme français, petit florilège des déclarations "jaurésophiles".
Jean-Luc Mélenchon, Manuel Valls, Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen… Qu’ils soient issus des rangs de la gauche ou de la droite, les politiques français semblent avoir trouvé en Jean Jaurès une personnalité tutélaire dont ils se disputent régulièrement l’héritage. À se demander si, ces dernières années, un seul d’entre eux n’a pas une seule fois fait explicitement référence à cette grande figure du socialisme des XIXe et XXe siècles.
Alors que la France va commémorer, jeudi 31 juillet, le centenaire de son assassinat par un jeune militant nationaliste, France 24 revient sur ces responsables politiques pris, récemment, en flagrant délit de "Jaurèsmania". Florilège.
Nicolas Sarkozy : "Je suis l’héritier de Jaurès" (2007)
Alors en campagne pour l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy multiplie à l’envi les références à l’ancien député du Tarn. En artiste du contre-pied, le candidat de l’UMP, qui, une fois au pouvoir, se fera le chantre de l’ouverture, entend ainsi s’ériger en héritier de Jean Jaurès pour mieux décrédibiliser la gauche.
Lors d’un meeting organisé en avril 2007, à Toulouse, terre jaurésienne s’il en est, Nicolas Sarkozy cite pas moins de 27 fois l’ancien leader socialiste. "La gauche d'aujourd'hui n'a plus grande chose à voir avec la gauche de Jaurès, lance-t-il à la tribune. La gauche française n'est plus réformatrice, elle est conservatrice, immobile et statufiée. Jaurès disait : le courage, c'est de choisir un métier et de bien le faire, quel qu'il soit. Pour Jaurès, le travail était une valeur. La gauche d'aujourd'hui n'aime pas le travail. La preuve, c'est qu'elle empêche ceux qui veulent travailler plus pour gagner davantage de pouvoir le faire." Et d’ajouter, plus tard : "Je suis l’héritier de Jaurès".
Offusquée par ce qu’elle considère comme une confiscation, la gauche crie à la démagogie politique. Sur son blog, Najat Vallaud-Belkacem, alors porte-parole de la candidate socialiste Ségolène Royal, évoque son "grand malaise" de voir "la flamme éternelle du socialisme" récupérée par celui qui "n’hésite d’ailleurs pas à dire, avec la même verve démagogique, que cet héritage complexe […] nourri de l’idéal marxiste révolutionnaire d’une part, de l’idéal républicain et de l’exercice du pouvoir d’autre part, est responsable de toutes les tragédies du XXe siècle".
Marine Le Pen : le confusionnisme jaurésien (2011)
Cinq ans après Nicolas Sarkozy, c’est au tour de Marine Le Pen d'entrer dans la danse. Lors d’un congrès de son parti organisé à Tours en janvier 2011, la dirigeante du Front national (FN) y va de son couplet jaurésien : "’À celui qui n’a plus rien, la patrie est son seul bien’, disait Jaurès en son temps, lui aussi trahi par la gauche du FMI [Fonds monétaire international, NDLR]."
Les spécialistes du héraut socialiste ne tardent pas à pointer la fausse note. Jamais, Jean Jaurès n’a dit ou écrit cette phrase, disent-ils en substance. "Mais d’où vient la fameuse citation ? s’interroge à l’époque le philosophe Grégoire Chamayou dans "Libération". Elle traîne sur Internet, sans source - et pour cause, puisqu’elle est frelatée. Le FN l’a mise en circulation en 2009 sur une affiche représentant le défenseur de Dreyfus avec cette légende : ‘Jaurès aurait voté Front national’."
Quelques années plus tard, c’est Steeve Briois, qui brigue alors la mairie d’Hénin-Beaumont (Nord-Pas-de-Calais), qui gratifiera sa carte de vœux 2014 d’une citation – cette fois-ci exacte – de l’ancien leader anti-nationaliste : "Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l’avenir".
Une mention qui, à l’instar de Nicolas Sarkozy, lui vaut un procès en démagogie. Le candidat est accusé de vouloir remporter à moindre frais les faveurs de l’électorat ouvrier, important dans cette ancienne région minière. "À Hénin-Beaumont plus qu'ailleurs, sans doute, résonnent encore les noms des figures héroïques de la gauche qui ont donné chair aux combats ouvriers et syndicaux du XXe siècle", écrit alors le Huffington Post. Six mois plus tard, Steeve Briois sera élu maire de la commune dès le premier tour (50,26 %).
François Bayrou : sur les hauteurs de Jaurès (2012)
En 2012, à Toulouse (décidément), le leader du MoDem, François Bayrou, alors engagé dans la course à la présidence, s’adonne lui aussi à la "jaurèsophilie". Dans un discours vitupérant la propension du président sortant, Nicolas Sarkozy, à diviser les Français, le candidat centriste cite le fondateur de "L’Humanité" pour se positionner en rassembleur : "On doit les mener [les Français] sur le seul chemin qui soit le chemin de la République, on doit les mener vers les hauteurs […] C'est trahir la République que de la tirer vers le bas !"
Les hauteurs, François Bayrou ne sera pas parvenu à les atteindre cette année-là puisqu’il termine à la cinquième place du premier tour de la présidentielle avec 9,12 % des voix, juste derrière Jean-Luc Mélenchon (11,10 %).
François Hollande : chahuté chez Jaurès (2014)
Nul n’est plus prophète en son pays. En avril 2014, alors qu'il se rend à Carmaux, la ville qui vit naître la carrière politique de Jean Jaurès, François Hollande doit essuyer, dès son arrivée, sifflets et huées des riverains. "Monsieur le président, vous ne tenez pas vos promesses. Jaurès ne parlait pas comme vous !", interpelle une habitante. Un incident symbolique qui témoigne du mécontentement d’une grande partie de l’électorat socialiste.
Pour Jean-Christophe Cambadélis, en revanche, la visite chahutée du chef de l’État sur les terres de Jaurès démontrerait la proximité de destin des deux hommes. "Il est intéressant de constater que [Jean Jaurès], en son temps décrié, honni, vilipendé - on l'a même assassiné - soit devenu par la suite une figure de notre nation", a remarqué sur RTL le patron du Parti socialiste (PS), mercredi 30 juillet.
Manuel Valls : "Jaurès aurait voté le pacte de responsabilité" (2014)
On le savait admirateur du "Tigre" Georges Clemenceau, mais c’est au chantre du pacifisme que Manuel Valls s’est récemment référé pour défendre l’action de son gouvernement. En juin 2014, alors en déplacement au Centre des monuments nationaux pour y inaugurer une exposition consacrée à Jean Jaurès, le Premier ministre français affirme que ce dernier aurait voté le "pacte de responsabilité", une mesure chère à François Hollande qui vise à alléger les charges sociales des entreprises s’engageant à embaucher.
Dans les rangs de la gauche, où le pacte ne fait pas l’unanimité, la caution Jaurès fait grincer des dents. "Faire parler les morts pour endormir les vivants. L'arnaque !" s’emporte immédiatement Jean-Luc Mélenchon, co-président du Parti de gauche, dans les colonnes du "Journal du dimanche".
Lequel Jean-Luc Mélenchon ne perd jamais une occasion de brocarder la manie des socialistes d’invoquer les mânes de Jaurès. Le 27 juillet dernier, toujours dans le "Journal du dimanche", le député européen s’est employé à opposer François Hollande au modèle revendiqué par le PS. "Une chose est sûre. Jaurès n'était pas un gentil garçon. Il ne cherchait pas l'estime des mous", écrit-il. "Jean Jaurès avait obtenu une première loi fixant l'âge de la retraite à 65 ans. C'était en 1910. Hollande vient de le reporter à 66 ans, comme il s'en est vanté auprès de la Commission européenne. Un siècle après, Hollande a fait pire que la réforme de Sarkozy et défait ce que Jaurès et tant de générations de militants avaient arraché au prix de tant d'efforts."