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Le Festival d'Avignon, une tradition politique ancrée dans l'actualité

La tension politique qui parcourait les rues de la Cité des Papes lors des premiers jours du Festival d'Avignon semble s’être apaisée. Cette édition restera néanmoins éminemment politique.

À l’ombre des platanes de la cour de l’université d’Avignon, Olivier Py, le directeur du Festival, est catégorique : "Non seulement la politique est une composante fondamentale du Festival, mais de toute façon, la culture est intrinsèquement politique".

Déjà, quand le Festival d’Avignon voit le jour en 1947, sous l’impulsion de René Char et Jean Vilar, l’idée même de sa création est politique. Du théâtre pour tous ? Une utopie irréalisable aux yeux de beaucoup. Pourtant depuis lors, pas une année sans que le politique ne ressurgisse. Quelques éditions sont restées dans l’histoire, comme celle de 1968, marquée par la venue du Living Theatre, ou celle de 2003, annulée en raison du conflit avec les intermittents au gouvernement.

La culture est donc politique, mais pas politicienne. "Ce qu’il faut comprendre, c’est que le politique n’est pas séparé du poétique, du métaphysique ou même de l’érotique, explique, avec le lyrisme qui le caractérise, l’artiste-directeur. Tous les soirs, en réunissant sous les étoiles des gens qui cherchent à comprendre leur présence au monde, le Festival est infiniment plus politique que le journal télévisé".

"Le théâtre n’a pas les moyens de s’opposer au Front National"

Réaliste, Olivier Py avoue avoir "découvert l’engagement politique au Festival", mais admet que "pour un homme de théâtre, il n’est pas possible de faire de la politique comme un politicien ou un syndicaliste". Cette année à Avignon, nombre de pièces présentent dans le IN (la programmation officielle) traitent de l’actualité et montrent combien les artistes considèrent le théâtre comme un moyen de faire avancer la société.

Profondément engagé, le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier, qui présente "Die Ehe der Maria Braun", estime par exemple que "le théâtre n’a pas les moyens de s’opposer concrètement au Front national", mais qu’il permet de "remettre nos certitudes en question". En cela, Avignon représente selon lui "une utopie précieuse" qui peut faire évoluer les choses sur le terrain.

Comme lui, d’autres metteurs en scène et artistes présents au Festival s’engagent. Programmée pour la première fois dans le IN avec "Solidaritate", la dramaturge et metteuse en scène Roumaine Gianina Carbunariu estime que le théâtre ne peut être "que politique". Ainsi, si les intermittents qui travaillent sur le spectacle qu’elle présente souhaitent se mettre en grève, elle déclare qu’elle sera totalement solidaire, "quitte à être radicale".

"Le Festival d’Avignon n’est pas accessible aux Africains"

Au-delà de l’engagement profond des artistes qui le font, le Festival s’implique aussi dans le choix des spectacles présentés. Cette année dans le IN, la programmation des spectacles "Haeeshek", "At the same time" et "Archive" démontre la volonté d’Olivier Py d’ancrer la manifestation dans l’actualité. En présentant au public français "Haeeshek", le spectacle d’une troupe indépendante en langue vernaculaire, le metteur en scène égyptien Hassan el-Geretly ne considère pas son œuvre comme purement politique. Mais il admet qu’elle "reflète une réalité multiple et contradictoire", et donc qu’elle "s’inscrit dans le politique" au sens large du terme.

Venus du Sénégal avec la chorégraphe Robyn Orlin, les danseurs de la compagnie Jant-Bi ne s’intéressent pas plus qu’Hassan el-Geretly à la politique politicienne, mais admettent la part de politique que contient leur spectacle "At the same time…". Selon eux, "le Festival d’Avignon n’est pas accessible aux Africains" pour des raisons financières et de notoriété. Ils profitent donc de l’occasion qui leur est donc donnée de "titiller le public" français en organisant, entre autres, un contrôle d’identité des spectateurs. Une façon de confronter ce public à la réalité du quotidien des immigrés.

Enfin, par delà les discours, le positionnement ouvertement politique du Festival et de certains artistes porte parfois ses fruits. Présente dans le Off depuis plusieurs années, Darina Al-Joundi s’est vue refuser la naturalisation française une première fois, avant qu’un article du journal "Le Monde" ne relaye son histoire racontée dans son spectacle. Depuis, la comédienne a vu sa demande acceptée après l’intervention du ministre de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls.

Cette année, même si la lutte des intermittents du spectacle ne porte pas ses fruits, le Festival continuera d’être politique, ou du moins, comme le dit son directeur : "Indiscipliné, le Festival d’Avignon le restera".